L'Obs

“Mon personnage a plus d’expérience”

- Propos recueillis par FRANÇOIS FORESTIER

Lors du tournage de « Blade Runner », en 1981, Harrison Ford avait 39 ans. Il en a 75 aujourd’hui. Le visage s’est marqué, les cheveux ont blanchi, le sourire est resté le même : en biais, en retrait. C’est que Harrison Ford est une star à reculons : il préfère ses avions et son ranch du Montana aux galas, aux sorties, aux interviews. Mais quand il accepte d’en donner une, il est le parfait pro, courtois, sérieux, appliqué. De passage à Paris, il nous parle de ses retrouvail­les avec Rick Deckard, son personnage des deux « Blade Runner ». Quelle est votre conception du personnage de Deckard? Harrison Ford Trente-cinq ans ont passé. Sans vouloir alourdir le film avec des souvenirs, ou des flash-back, il était important de faire sentir au spectateur que Deckard a acquis une certaine expérience, mais sans donner de détails. Il fallait garder un certain mystère, dans cette période de transition entre les deux films. Deckard a certaineme­nt traversé des événements remarquabl­es, puis il a choisi d’aller vivre en solitaire, dans une cité déserte. Les circonstan­ces l’ont transformé. Avez-vous eu besoin de vous construire une « backstory », d’imaginer le passé de ce personnage pour mieux le jouer? Je fais ça lors de la préparatio­n, je pioche dans le scénario ce dont j’ai besoin,

j’invente un peu. Il s’agit pour moi d’obtenir une continuité, et, une fois ceci accompli, je n’ai pas besoin de le faire savoir. Je n’en parle pas, je m’appuie sur ces éléments juste pour communique­r quelque chose au public. La backstory, je la garde pour moi. Ce qui compte, c’est la frontstory, l’histoire qu’on est en train de raconter, celle qui est sur la page. Il faut réaliser que chaque instant, sur l’écran, est précieux. D’une part, l’acteur doit apporter un bagage émotionnel, susciter l’intérêt du spectateur. D’autre part, chaque scène doit fournir une pépite d’informatio­n sur ce qui se passe. C’est entre ces deux exigences qu’il faut travailler.

Quelle est la différence de méthode de travail entre Ridley Scott et Denis Villeneuve?

Ce sont deux personnes différente­s. Si j’expliquais, je crois que je leur volerais un peu de leur complexité. Mais je peux vous dire qu’ils m’ont tous les deux laissé improviser certaines choses, chercher des solutions. D’ailleurs, pourquoi voudraient-ils m’en empêcher ?

Par souci d’autorité?

Je ne travaille pas avec des gens comme ça. Je pense qu’il faut être dans un esprit de collaborat­ion. Tout n’est pas toujours facile, et il s’agit de respecter leur vision. Je suis là pour illustrer cette vision, de la façon la plus authentiqu­e possible.

Etes-vous intervenu sur la constructi­on du personnage de Deckard?

Oui, mais je n’ai rien écrit. Je me suis approprié sa façon d’être, ma voix est devenue la sienne dans ce film qui est un puzzle intellectu­el. Ce qui est intéressan­t, c’est que Ryan Gosling, qui joue l’Agent K, a le même job que moi il y a trente-cinq ans. Si bien que lorsque nous avons joué notre première scène ensemble, ce fut un vrai moment d’émotion pour moi.

Comment avez-vous été choisi pour le premier « Blade Runner »?

Ridley Scott a vu les rushes des « Aventurier­s de l’Arche perdue », que j’étais en train de tourner. Puis il est venu me voir.

Qu’est-ce qui vous a plu dans le personnage de Deckard?

Son ambiguïté : c’est un tueur qui n’aime pas tuer. Cette contradict­ion le rendait attirant.

Quel souvenir gardez-vous du premier tournage, en 1981?

La fatigue. Deux mois de tournage nocturne. Et l’ampleur du projet était déconcerta­nte. Tout était nouveau, l’ambiance, cet univers déprimant… Je ne savais pas comment le public réagirait. C’était difficile.

Vous êtes connu pour avoir interprété des héros récurrents : Indiana Jones, Han Solo, Jack Ryan. Pensiez-vous reprendre le rôle de Deckard un jour?

Au cours des années, on a parlé de cette possibilit­é. Mais il fallait un très bon scénario, c’était la condition première. Quand j’ai lu celui de « Blade Runner 2049 », j’ai su que c’était OK.

 ??  ?? BIO Né en 1942 à Chicago (Illinois), Harrison Ford a notamment tourné dans les premiers « Star Wars » (1977, 1980 et 1983), « Apocalypse Now » (1979), « les Aventurier­s de l’Arche perdue » (1981) et « Blade Runner » (1982).
BIO Né en 1942 à Chicago (Illinois), Harrison Ford a notamment tourné dans les premiers « Star Wars » (1977, 1980 et 1983), « Apocalypse Now » (1979), « les Aventurier­s de l’Arche perdue » (1981) et « Blade Runner » (1982).
 ??  ?? Rutger Hauer face à Harrison Ford dans le « Blade Runner » de Ridley Scott.
Rutger Hauer face à Harrison Ford dans le « Blade Runner » de Ridley Scott.

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