L'Obs

Le roi Roth

ROMANS ET NOUVELLES, 1959-1977, PAR PHILIP ROTH, PRÉFACE DE PHILIPPE JAWORSKI, GALLIMARD, LA PLÉIADE, 1280 P., 64 EUROS.

- DIDIER JACOB

Dans un texte consacré à son maître Saul Bellow, Philip Roth racontait que l’auteur d’« Augie March » lui avait un jour confié qu’il s’était toujours demandé « si lui, Saul Bellow, le fils de juifs émigrés, pouvait légitimeme­nt prétendre à exercer le métier d’écrivain ». La faute, selon Bellow, aux universita­ires Wasp qui lui déniaient le droit d’écrire en anglais. Aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands écrivains au monde, Philip Roth, le petit-fils d’immigrés juifs, aura fini par venger son vieux maître en prenant les commandes, avec Norman Mailer, de la littératur­e américaine de la fin du xxe siècle. « Portnoy et son complexe » (1969), « Ma vie d’homme » (1974) ou encore « Professeur de désir » (1977) : tels sont les grands romans qui forment le socle de son oeuvre. C’est cru, rapide, sanglant, parfois nauséabond. C’est un volume de la Pléiade et c’est l’étal du boucher. A relire « Portnoy », on mesure le choc que les lecteurs de l’époque ont dû ressentir aux Etats-Unis : explosif sur le plan de la morale sexuelle, le livre n’a rien perdu de sa verve loufoque et de son humour irrésistib­le. Le héros, Alexander Portnoy, est cependant encore expériment­al. Il y a quelque chose, en lui, de la primitive clé à mollette, en comparaiso­n de celui qui va devenir le héros récurrent de Roth – Nathan Zuckerman – véritable couteau suisse de personnage qu’il mettra en scène dans pas moins de neufs romans. Les critiques ne cesseront d’y voir le double de Roth, sans qu’on gagne quoi que ce soit à la compréhens­ion de son oeuvre. Plus intéressan­te (car peut-être unique en son genre) est la manière dont Zuckerman, comme un héros de dessin animé, a souvent réussi à déjouer les tentatives de son auteur d’en finir avec lui, comme dans « la Contrevie ». Aujourd’hui, Roth n’écrit plus. Crainte, sans doute, après une carrière sans tache, de publier le livre de trop. Ce silence tranche avec les scandales qui ont émaillé sa carrière. C’est que Roth, comme l’écrit Philippe Jaworski dans la belle préface de cet indispensa­ble recueil, a souvent été l’homme à abattre. « Il a dû affronter, depuis la publicatio­n de “la Plainte de Portnoy” (1969), un procès bruyant et confus en égotisme, au motif que certains de ses livres pouvaient passer pour des règlements de comptes personnels mal déguisés. » Mais comment l’écrivain qui a imaginé, dans « le Sein », qu’un prof pouvait se transforme­r en protubéran­ce mammaire pouvait-il faire l’unanimité ?

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