L'Obs

La reine et le petit prince

MA REINE, PAR JEAN-BAPTISTE ANDREA, L’ICONOCLAST­E, 224 P., 17 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

Autrefois, on l’aurait qualifié d’idiot du village. Luimême reconnaît qu’il est « bizarre, pas normal ». A l’école, où il ne va plus, il était moqué et rabroué. Chez lui, il est oublié. Shell – ainsi nommé parce que ses parents tiennent, dans la vallée d’Asse, une piteuse station essence – a 12 ans. Est-il simplet ? On en doute en lisant son histoire, écrite à la première personne. Différent ? C’est certain. On est au milieu de nulle part et des années 1960, lorsque la télévision avait deux chaînes et le téléphone était en bakélite. Afin d’échapper à l’internat, où il est menacé d’être placé après avoir failli mettre le feu à une pinède, Shell s’enfuit dans la montagne. Il vole le fusil de son père et prétend « partir pour la guerre ». Laissant derrière lui une enfance malheureus­e et incomprise, il veut devenir un homme médaillé. Or, là-haut, dans les Alpes de Haute-Provence, il y a du péril, mais il n’y a pas de bataille. En chemin, il croise Viviane, une fillette de bonne famille « aux yeux violents », qui aime s’ensauvager et ne déteste pas avoir un vassal. Il va donc l’appeler « Ma reine » et faire tout ce qu’elle lui ordonne. Le meilleur comme le pire. Il rencontre aussi Mutti, un vieux berger mutique, qui l’abrite dans sa cabane, lui apprend le goût de l’eau-de-vie – celui des « prés après la pluie » – et à surveiller les sabots des moutons. Les jours passent, Shell s’aguerrit sans faire la guerre. Il a découvert ce qui ressemble à l’amour dans un paysage inviolé qui ressemble à l’Eden. Sans regrets ni remords, il a désormais, croit-il, la vie devant lui. Il suffit de la rêver, de l’inventer, de la romancer. Et, à ce jeu-là, les enfants sont les plus doués. Surtout les enfants discordant­s. Ce conte initiatiqu­e, c’est « le Petit Prince » chez le Giono de « l’Homme qui plantait des arbres ». Un peu de parabole, un peu de féerie, un peu de panthéisme, et beaucoup de candeur. Mais une candeur qui sonne juste, et ne tombe jamais dans la niaiserie. C’est aussi le premier roman de Jean-Baptiste Andrea (photo), le cinéaste de « Big Nothing » et de « la Confrérie des larmes ». Dans cette fable, il a sans doute mis les images qu’il ne pourra plus jamais tourner à hauteur de garçonnet et les insaisissa­bles odeurs de garrigue. Ce réalisateu­r découvre, à 46 ans, que la littératur­e est, finalement, la manière la plus simple de fuguer et de réaliser, sans moyens pharaoniqu­es, les rêves les plus secrets. En somme, « Ma reine » est, au sens propre, du cinéma d’auteur.

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