L'Obs

Coup de peau

SCIENCES DE LA VIE, PAR JOY SORMAN, SEUIL, 272 P., 18 EUROS.

- GRÉGOIRE LEMÉNAGER

Les jurés des prix d’automne, qu’on dit si soucieux de la bonne santé littéraire du pays, ont bizarremen­t ignoré le cas Joy Sorman (photo). Parce que sa pratique originale de la fable documentai­re ne présente pas les symptômes romanesque­s les plus courants ? Plutôt que d’inscrire sur leurs listes d’attente les mêmes patients, ils auraient pourtant bien fait d’examiner ses « Sciences de la vie ». Ils y auraient appris des mots, comme « allodynie tactile dynamique ». Ils y auraient surtout lu « l’épopée médicale » de Ninon Moise, qui, à 17 ans, se met soudain à sou rir de cette pathologie. « Allodynie tactile dynamique », donc. Traduction : la jeune fille éprouve, dans les bras, une sensation de brûlure au moindre contact. Une solution serait de survivre nue, recluse dans une chambre surchau ée, avec de la musique et des joints pour s’oublier. Mais on n’est pas toujours résigné quand on a 17 ans, et Ninon, entre deux phases dépressive­s, est décidée à tenter toutes les thérapies disponible­s, des plus académique­s aux plus farfelues : dermato, en doc ri no,n euro gastroenté­rologue, chaman parisien qui lui fait boire (donc vomir) de l’ayahuasca. Décidée surtout à faire comme si toutes ses aïeules, depuis des siècles, n’avaient pas aussi été frappées de maux étranges. Où Joy Sorman veut-elle en venir, dans cette réécriture clinique de « la Métamorpho­se » de Ka a ? Bien sûr, il s’agit de méditer sur notre rapport aux médecins, qui passe d’abord par du langage (« nommer le mal, c’est commencer à le soumettre », mais « les mots, impotents, déforment la réalité, décrivent mal ce qu’éprouve Ninon »). Bien sûr, le livre est habilement tru é de considérat­ions techniques sur les mystères du corps humain et la théorie du « Moipeau » (« la peau est un cerveau périphériq­ue »). Mais ce n’est pas tout. « Sciences de la vie » peut aussi se lire comme un conte sur l’adolescenc­e, sur la possibilit­é de s’émanciper des héritages familiaux, ou même sur la condition féminine. C’est une allégorie, mais on ne sait pas exactement de quoi. Tant mieux, chacun est libre d’établir son diagnostic.

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