Le charme discret des Bourgeois
Alice Ferney raconte, de la Grande Guerre à aujourd’hui, le destin d’une grande famille bourgeoise et traditionaliste LES BOURGEOIS, PAR ALICE FERNEY, ACTES SUD, 368 P., 22 EUROS.
Dans « l’Elégance des veuves » (1995), Alice Ferney esquissait déjà la geste du fécond clan Bourgeois, comparé à un grand arbre dont les branches croissent d’année en année. Elle reprend cette histoire familiale qui se confond avec celle du xxe siècle. Son roman n’a rien d’une saga à la Roger Martin du Gard même s’il s’attache à la destinée de notables catholiques bouleversée par les conflits internationaux : les deux guerres mondiales, l’Indochine, l’Algérie et Mai-68. Comme elle commenterait des photos noir et blanc, elle observe l’existence d’Henri et Mathilde qui, entre 1920 et 1940, donnèrent vie à dix enfants. Et si Mathilde meurt en accouchant de la dernière, nul membre de la tribu ne remet en question cette obsession de l’enfantement qui est la clé de voûte de leur caste. Remarié avec la cousine de sa femme, Henri pourra s’enorgueillir d’une descendance prolifique. Tenue, discrétion, silence, telle est l’éducation des Bourgeois. Chez eux, l’amour est une décision, la foi, une évidence, le courage, une qualité. En dépit de son indéfectible admiration pour le vainqueur de Verdun, la famille ne démérite pas pendant la guerre. Jules, l’aîné, rejoint le maquis, Nicolas, le plus indépendant de la fratrie, gagne la France libre en Afrique du Nord. Alice Ferney n’a pas voulu faire une satire au vitriol de la bourgeoisie pétainiste. Elle témoigne avant tout du déclin d’un milieu traditionaliste, univers mis à mal dès 1967 par la loi Neuwirth sur la contraception. Avant cette libération, les femmes Bourgeois, vouées par nature au soin d’autrui, marchent sur les traces de leurs mères. Louise, une fille d’Henri, aura six enfants, renonçant à sa passion pour le chant. Le livre est certes féministe, le mariage représentant pour les épouses un traquenard douillet. Mais l’auteur, économiste de formation, analyse plus qu’elle ne juge l’austère lignée des Bourgeois. Acteurs d’une époque patriarcale et colonialiste, ils restèrent droits et ne cherchèrent jamais la gloire ni l’argent. Un roman ample et magistral sur un monde englouti.