L'Obs

Vous avez vu Tartuffe ?

LE TARTUFFE, DE MOLIÈRE, JUSQU’AU 31 DÉCEMBRE, THÉÂTRE DE LA PORTE SAINT-MARTIN, PARIS-10e ; 01-42-08-00-32.

- JACQUES NERSON

C’est l’événement le plus attendu de la rentrée. A propos duquel chacun vous demande : « Tu as vu “Tartuffe” ? Comment est Michel Bouquet ? » Le prestige de Bouquet (photo, à gauche) dépasse en effet le monde du spectacle. Ce n’est pas un simple acteur mais le dieu tutélaire du théâtre en personne. Il s’exprime par sentences, pieusement recueillie­s par ses anciens élèves. Tous l’ont en vénération. Certains, comme Fabrice Luchini ou Denis Podalydès, ne peuvent s’empêcher de l’imiter en le citant. Alors comment est-il, Bouquet, dans « le Tartuffe » monté par Michel Fau (photo, à droite) ? Eh bien, disons-le sans tergiverse­r : trop affaibli par l’âge pour camper un Orgon tout à fait convaincan­t. Rappelons que ce dernier est un tyran domestique devant qui tout le monde plie l’échine, femme, fils, fille, beau-frère, et même la servante, une grande gueule, pourtant, cette Dorine. Dans la mise en scène – inoubliabl­e – de Roger Planchon, Guy Tréjan montrait une telle autorité qu’il était impossible de le contrer. Un taureau écumant, prêt à encorner tout ce qui se dresse contre lui. Cette puissance-là, un acteur nonagénair­e ne l’a plus, fût-il Michel Bouquet. Mais il a « de beaux restes » et l’on encourage les apprentis comédiens à ne pas rater cette extraordin­aire leçon d’art dramatique. Comme ces poissonshé­rissons qui leurrent leurs prédateurs en se gonflant à volonté pour paraître plus gros qu’ils ne le sont, il esquisse un portrait fascinant de cet Orgon qu’il regrette de ne plus pouvoir pleinement incarner. Si bien qu’on prend tout de même grand plaisir à ce « Tartuffe ». D’autant plus qu’il y a de magnifique­s acteurs aux côtés du maître. A commencer par Michel Fau, Tartuffe scabreux et baroque, natté à l’arrière tel un Chinois d’antan et paré comme un cardinal, d’un manteau moins pourpre que rose cerise. Et aussi par la merveilleu­se Christine Murillo, Dorine haute en couleur – et pas seulement à cause de la tenue bariolée de baba que Christian Lacroix lui a confection­née. Etrange, soit dit en passant, cette russificat­ion de Molière. Le décor écrasé d’Emmanuel Charles évoque plus le palais d’Ivan le Terrible qu’une maison bourgeoise sous Louis XIV. Du moins cette magnificen­ce – pas forcément justifiée – est-elle agréable à l’oeil.

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