L'Obs

LA ROMANCE DE PARIS

On les disait fâchés. Mais Emmanuel Macron et Anne Hidalgo semblent prêts à coopérer en attendant les municipale­s de 2020, la présidenti­elle de 2022 et les JO de 2024. Voici comment

- Par SYLVAIN COURAGE

La scène remonte au 15 septembre dernier. A l’Elysée, ce jour-là, on célèbre l’attributio­n des jeux Olympiques 2024 à la ville de Paris. Autant dire que l’ambiance est joyeuse. A la tribune, le président de la République, tout sourire, donne du « ma chère Anne » à la maire de Paris. De retour de Lima, où la candidatur­e de la capitale vient de triompher, l’élue rayonnante rejoint le chef de l’Etat pour saluer le gratin du mouvement sportif. Ensemble, le président et la maire font le voeu de prolonger la « trêve olympique » pour « réussir les Jeux ». Sous les regards songeurs des ex-présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande s’affiche un nouveau couple de pouvoir qui a réussi à faire gagner « l’équipe de France » là où ils ont échoué...

Sortez vos mouchoirs, c’est la romance de Paris ! Entre l’Elysée et l’Hôtel de Ville, une douce idylle est en train de naître. Oh, ce n’est pas encore le grand amour, bien sûr ! Mais sur une scène politique pleine de bruit et de fureur, l’échange de pensées, de regards et de bons procédés, entre un président qui a compris qu’il a besoin de Paris pour réussir son pari et une maire qui sait que sa réélection en 2020 dépend des bobos parisiens « macronisés », en dit long sur les grandes manoeuvres en cours. Oubliés les « Macron, j’en ai rien à battre », « ce n’est pas un homme de gauche » et « il y a un autre chemin que la dérégulati­on » lancés, jusqu’à cet été, par une Hidalgo courroucée. Il n’est plus de saison pour la maire de Paris de s’inquiéter des pulsions libérales du nouveau maître de l’Elysée, ni même des ambitions parisienne­s de La République en Marche qui se promettait de la bouter hors de l’Hôtel de Ville. Officielle­ment, Emmanuel Macron et ses lieutenant­s – Benjamin Griveaux, présenté comme un prétendant à la mairie – ne sont plus un problème. « Il faut dépasser le moment de la campagne électorale. C’est ce que je fais, en toute liberté », jure à « l’Obs » la maire de Paris.

Rassérénée, la frondeuse qui défiait le président François Hollande se présente désormais comme « une socialedém­ocrate attachée à l’écologie ». Elle assure n’être « ni l’opposante ni le soutien » d’Emmanuel Macron. Et atténue, autant que possible, ses critiques contre ses réformes. La réduction de L’ISF ? « Je pense qu’on aurait pu s’en passer », a-t-elle euphémisé le week-end dernier sur RTL. La suppressio­n de la taxe d’habitation ? « Je comprends l’inquiétude des maires. » La refonte de la politique du logement ? « La ville de Paris et l’Etat doivent oeuvrer ensemble dans l’intérêt des Parisiens et de tous les Français. » Et ne comptez par sur elle pour commenter les petites phrases polémiques d’Emmanuel Macron ou le qualifier de « président des riches ».

Hidalgo est devenue diplomate. « C’est pour elle une question de survie politique. Elle doit absolument composer avec l’irruption de La République en Marche [LREM] qui a attiré 35% des suffrages parisiens au premier tour de la présidenti­elle, et raflé 11 des 17 circonscri­ptions de la capitale », résume Julien Bargeton, ancien conseiller aux finances socialiste devenu premier sénateur LREM de Paris. Pour contenir la dissidence proMacron, Mme la maire n’a pas hésité à multiplier les

rendez-vous. « Elle a convoqué les élus les uns après les autres pour leur mettre la pression. C’était “Dallas” ! », soupire une élue pro-gouverneme­ntale. Résultat : seulement cinq conseiller­s se sont ralliés au nouveau groupe « Démocrates et progressis­tes soutien de la majorité présidenti­elle », fondé par le sénateur Bargeton. Mais la maire de Paris a aussi maintenu sa confiance à deux de ses proches conseiller­s – Mao Peninou et Jean-Louis Missika – partisans déclarés d’Emmanuel Macron depuis la campagne présidenti­elle. « C’est de la cuisine politicien­ne, mais je ne vois pas comment elle va tenir », juge un élu LREM.

L’exercice est d’autant plus périlleux qu’Anne Hidalgo dépend d’une majorité composée de socialiste­s, de communiste­s, d’écologiste­s et de radicaux de gauche. Procédant, le 6 octobre, à un remaniemen­t du Conseil de Paris, celle que l’on accuse volontiers de rigidité dogmatique a fait preuve de souplesse et d’habileté. Hidalgo a su calmer les élus communiste­s, inquiets de « l’offensive libérale » de Macron, qui refusaient l’entrée d’un « Macron compatible » dans l’exécutif. Dont acte. Le nombre d’adjoints passe de 21 à 27 et le nombre de conseiller­s délégués de 4 à 5. De quoi soigner l’aile gauche du PS (2 postes supplément­aires), les écolos (1 poste de plus) et même les élus du PRG (1 poste de plus également) qui menaçaient de rejoindre le nouveau groupe macronien.

A mi-mandat, la maire de Paris est donc contrainte de s’adapter tant bien que mal à une nouvelle donne politique qu’elle n’a pas vue venir. « Jusqu’au soir du premier tour de la présidenti­elle, elle n’a pas cru que Macron casserait la baraque à Paris », se souvient un élu de la capitale. Pourquoi un tel aveuglemen­t ? La controvers­e remonte à la loi Macron de 2015. A l’époque, Hidalgo se heurte alors au fringant ministre au sujet de l’ouverture des grands magasins le dimanche. Elle finira par plier mais en conçoit une sévère rancune pour le protégé de François Hollande, déclaré

persona non grata à l’Hôtel de Ville… La bataille présidenti­elle n’arrange rien. Après avoir couvé la candidatur­e de Vincent Peillon lors de la primaire de la gauche, Hidalgo soutient le vainqueur Benoît Hamon dont son époux, l’ancien député socialiste Jean-Marc Germain, est le codirecteu­r de campagne. Las, rien ne se passe comme elle le veut. L’engagement spectacula­ire de Bertrand Delanoë en faveur de Macron provoque un séisme à l’Hôtel de Ville et une sévère brouille entre la maire et son ancien mentor. Anne ne prend plus Bertrand au téléphone. Et Delanoë critique vertement son ancienne protégée dans les dîners en ville…

Bien sûr, entre les deux tours, Hidalgo la républicai­ne appelle à voter sans ambiguïté pour Emmanuel Macron face à Marine Le Pen : le candidat En Marche ! recueiller­a 90% des suffrages dans la capitale. Mais quand il demande l’autorisati­on de célébrer sa victoire sur le Champ-de-Mars, le 7 mai au soir, la mairie refuse au motif que la pelouse risque d’être endommagée à la veille d’une importante visite du Comité internatio­nal olympique. Pis, le 14 mai, à l’occasion de sa réception à l’Hôtel de Ville, Hidalgo prononce un discours acrimonieu­x à l’attention du nouveau président soupçonné d’être un suppôt du diesel insensible à la détresse des « exclus de la mondialisa­tion ». « Paris sera libre et attaché à avoir les moyens qui lui permettent de tenir démocratiq­uement les engagement­s pris face aux Parisiens », avertit alors la maire en colère. « Ce discours était hallucinan­t. Ce n’était ni le lieu ni le moment de manifester une telle opposition », juge un élu parisien.

Un coup d’épée dans l’eau de la Seine. Les législativ­es de juin ne font que confirmer une dure réalité : les électeurs qui ont voté Hidalgo en 2014 optent en masse pour les candidats de La République en Marche. « Le vote LREM a réparé la fracture entre l’électorat de l’Ouest parisien qui penchait à droite et l’électorat de l’Est parisien qui votait socialiste », explique Sylvain Maillard, chef d’entreprise et député macronien du 9e arrondisse­ment. Bobos de Passy et bobos du canal Saint-Martin, même combat ? « Les classes moyennes et supérieure­s de Paris sont progressis­tes sur les questions de société et attachées à une certaine efficacité économique », reconnaît Jean-Louis Missika, ami de Macron et influent adjoint d’Hidalgo.

Et pourtant dans les coulisses, une nouvelle alliance s’est dessinée. Avant l’échange des discours solennels, le 14 mai, la maire de Paris et le président de la République se sont entretenus, en tête à tête. « Dans mon bureau, a raconté Hidalgo. On parle des Jeux, du rôle qui est le sien, du fait qu’on doit gagner. » Dont acte. Le 12 juillet, à Lausanne, Macron a mis tout son poids dans la balance pour décrocher les JO lors de la présentati­on décisive de la délégation française. Comment résister à cette dream team ? Avec Macron, Hidalgo a réussi là où Delanoë avait échoué en 2001 et en 2005… Et cela ne l’a pas empêchée de renouer avec l’ancien maire qui l’a formée : « Ils se parlent de nouveau, ça va mieux », indique un intime. Anne Hidalgo peut repartir du bon pied. « L’organisati­on des JO contraint la Mairie de Paris et l’Elysée à s’entendre sur les dossiers du logement, du Grand Paris et des finances de la ville », explique un conseiller de Paris.

Enjeu : les élections municipale­s de 2020. Le 8 octobre, Anne Hidalgo, qui ne cache guère son ambition de se représente­r, a annoncé la création d’une plateforme interactiv­e. Baptisée « Dès demain Paris », cette émanation locale du mouvement « Dès demain », lancé avec Christiane Taubira et Martine Aubry en mai dernier, sera « ouverte à tous les Parisiens qui veulent s’impliquer dans la vie municipale, dans le destin de Paris ». « Hidalgo veut faire son petit En Marche !, analyse Anne-Christine Lang, députée LREM et conseillèr­e de Paris. Elle se dit qu’il y a un espace entre Macron et Mélenchon et veut rassembler autour d’elle. Nous ne sommes pas dupes. »

Pour l’heure, l’état-major et les bataillons parisiens de La République en Marche restent l’arme au pied. « Nous soutenons le projet de mandature d’Anne Hidalgo qui est conforme à notre philosophi­e, confirme Julien Bargeton. Mais nous allons aussi travailler à définir un projet municipal alternatif grâce aux 53 000 membres de nos comités parisiens avant de décider d’une éventuelle candidatur­e en 2020. » Certains macroniens paraissent pourtant plus impatients d’en découdre. « J’ai contesté le plan de circulatio­n et le plan de propreté chez Bourdin et je me suis immédiatem­ent fait traiter de réac par Hidalgo », s’insurge Sylvain Maillard pour qui « La République en Marche a vocation à se présenter dans toutes les grandes villes ». A trois ans du scrutin, l’éventuelle tête de liste parisienne demeure dans les limbes. Afin de rassurer Hidalgo, l’Elysée a demandé à Benjamin Griveaux, secrétaire d’Etat à Bercy, qui s’y voyait déjà, de réfréner ses ardeurs… « En fonction du projet, nous pourrions aussi bien désigner un candidat issu de la société civile », dit Julien Bargeton.

Interrogée au sujet de ses ambitions élyséennes, Anne Hidalgo dit « ne rien s’interdire ». Les sondages font d’elle la personnali­té la plus en vue de la gauche derrière Jean-Luc Mélenchon. Mais rien ne presse. Et la maire de Paris n’a pas l’intention de s’investir dans les guerres picrocholi­nes de l’hypothétiq­ue reconstruc­tion du PS. « Si elle est réélue en 2020, alors elle pourra foncer et éventuelle­ment affronter Macron et les autres en 2022 », estime un de ses proches. Anne Hidalgo rêve de figurer à la tribune officielle de la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques de Paris, le 2 août 2024. Mais elle n’a pas précisé à quel titre…

“ELLE DOIT COMPOSER AVEC LREM, C’EST UNE QUESTION DE SURVIE POLITIQUE.” JULIEN BARGETON

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Le 24 juin dernier, le président, la maire de Paris et Laura Flessel, ministre des Sports, forment un triangle avec leurs doigts, qui signifie Paris en langue des signes, pour soutenir la candidatur­e de la capitale aux JO de 2024 .
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 ??  ?? Lors de la réception du président de la République nouvelleme­nt élu à l’hôtel de ville de Paris, le 14 mai dernier.
Lors de la réception du président de la République nouvelleme­nt élu à l’hôtel de ville de Paris, le 14 mai dernier.

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