L'Obs

Le vieil homme et l’amour

L’AIR DE RIEN, PAR HANIF KUREISHI, TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR FLORENCE CABARET, CHRISTIAN BOURGOIS ÉDITEUR, 192 P., 17 EUROS.

- DIDIER JACOB

Pour Waldo, la gloire est derrière. Elle ressemble au mur de son bureau, où il a punaisé des cartes d’anniversai­re de David Bowie et une photo où on le voit, au jury de la Mostra de Venise, avec Dennis Hopper. Quelques lettres d’insultes de ses collègues cinéastes complètent le tableau. Décrié ou adulé, Waldo a su profiter de la vie, brûlant comme un aviateur fou tout le gazole disponible avant l’atterrissa­ge. Après d’innombrabl­es conquêtes, Waldo tombe un jour amoureux, à Mumbai, de Zenab, dite Zee, la costumière du film qu’il est en train de tourner. Waldo s’assagit, apprend à préférer le vin à la Guinness, et troque son look d’Elvis en fin de carrière contre celui d’un vieux sage hédoniste. Scénariste, dramaturge, écrivain, Hanif Kureishi (photo) est un maître discret qui, depuis « My Beautiful Laundrette » (1985), s’est attaché à décrire la société anglaise dans ses marges. Mais son oeuvre n’est pas seulement un observatoi­re social. Il manie aussi l’ironie comme personne. On l’imagine, rigolant à sa table de travail, tandis que ses personnage­s en chient. Comme Waldo, vieil homme indigne cloué dans son fauteuil roulant qui ne peut désormais satisfaire Zee. Pis : un jeune et obséquieux critique de cinéma a offert ses services pour répondre au téléphone, aider le couple dans son quotidien. Lors des hommages qui sont rendus à Waldo, Eddie se la joue calife à la place du calife. Waldo laisse faire. Car ce qui le chagrine, plus encore que de se faire plumer, c’est qu’Eddie l’ait supplanté dans le lit de sa femme. Waldo les espionne, guettant les soupirs et les râles, fouillant dans les affaires d’Eddie, un escroc sans envergure dont il va chercher à se venger. Il y a du Mankiewicz dans cette fable subtile, période « Guêpier pour trois abeilles ». Deux bourdons se disputent la même proie, mais Waldo tire les ficelles. C’est du moins ce qu’il croit, même s’il sait, morale de l’histoire, que l’intelligen­ce ne peut rien contre la force du désir. « Eddie, explique le vieux cinéaste à son ex-femme Anita, est connu pour être un cunnilingu­iste extraordin­aire. C’est le Jacques Cousteau du ramonage de berlingot. »

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