L'Obs

Wilhelm Uhde, incroyable collection­neur

DE PICASSO À SÉRAPHINE. WILHELM UHDE ET LES PRIMITIFS MODERNES, LAM, VILLENEUVE-D’ASCQ; 03-20-19-68-68. JUSQU'AU 7 JANVIER.

- BERNARD GÉNIÈS

Quelle vie! Et quel oeil! Né en 1874 à Friedeberg (ville de l’empire allemand aujourd’hui en Pologne), Wilhelm Uhde est un personnage dont le destin ne laisse pas indifféren­t. Grand amateur d’art, il découvre à Paris, au début du XXe siècle, les oeuvres d’artistes qui ne sont encore que de jeunes pousses. En 1905, il achète chez un brocanteur de Montmartre un tableau de Picasso (alors âgé de 24 ans) pour 10 francs. Suivront des oeuvres de Derain, Dufy, Vlaminck, Herbin, Braque. Uhde étant citoyen allemand, sa collection d’art va être saisie pendant la Première Guerre puis vendue en 1921. Au début des années 1920, de retour dans la capitale française, il se tourne vers ceux qu’il appelle les « peintres du Coeur-Sacré » puis les « primitifs modernes »: parmi eux, Camille Bombois, Louis Vivin, André Bauchant. Déchu de sa nationalit­é allemande par les nazis en 1942, il se réfugie en zone libre alors que la Gestapo met à sac son appartemen­t parisien. Cette fois, Uhde a pu sauver une partie de sa collection. La belle exposition que le LaM consacre à ce collection­neur passionné ne peut reconstitu­er cet itinéraire qu’en pointillé. Les quelque 130 oeuvres présentées ici n’ont pas toutes appartenu au marchand et critique d’art que fut Uhde. Mais toutes sont l’expression de son goût et de ses choix. Les plus visibles ici sont le Douanier Rousseau et Séraphine Louis (dite Séraphine de Senlis) puisque deux salles leur sont consacrées. Comment Uhde, après avoir accompagné la naissance du cubisme (en 1910, Picasso signe même un « Portrait de Wilhelm Uhde ») peut-il glisser ainsi vers cet art que l’on affirme être « naïf »? Si l’on considère l’aspect pragmatiqu­e, on sait que Uhde, après son retour en France en 1924, ne pouvait plus s’offrir les oeuvres de Picasso ou de Braque, devenues trop coûteuses pour lui. Pour autant, son intérêt pour les peintres primitifs n’est pas la conséquenc­e d’un choix par défaut. Pour lui, la peinture est indivisibl­e: elle montre autant qu’elle dissimule (ou laisse entrevoir). Elle est aussi l’expression du pouvoir des images, qu’elles soient mystérieus­es, suggestive­s ou oniriques. Le monde de l’art selon Wilhelm Uhde n’est donc pas une entité obéissant à des dogmes. Cette exposition les oublie donc elle aussi, célébrant en toute simplicité, mais avec une réelle pertinence, la liberté d’un regard vagabond.

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« La Promenade dans la forêt », du Douanier Rousseau, vers 1886.

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