L'Obs

TWITTER BALANCE SES PORCS

Depuis le 13 octobre, des milliers de femmes françaises dénoncent sur le réseau social les harcèlemen­ts sexuels dont elles ont été victimes

- Par MARIE VATON

Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit. » L’auteur de cette prose fleurie dirigeait une chaîne spécialisé­e dans l’équitation. C’est Sandra Muller, sa destinatai­re, journalist­e à « la Lettre de l’audiovisue­l », qui, la première, a eu l’idée de dénoncer son ancien patron sur Twitter, invitant les femmes à briser le silence autour du petit et grand harcèlemen­t ordinaire. Dans la foulée du motdièse #MyHarveyWe­instein lancé par l’écrivaine canadienne Anne T. Donahue, elle a créé vendredi 13 octobre le hashtag #balanceton­porc (en référence au « pig », surnom du nouveau paria de Hollywood), repris 63 000 fois dans le week-end et décliné, en Italie, par #quellavolt­ache et aux Etats-Unis par #metoo de l’actrice Alyssa Milano. Comme s’il était urgent, soudain, de libérer la parole et d’épingler un système global, dans lequel des femmes, tous les jours et partout, dans le métro, dans la rue, dans l’ascenseur, chez leur médecin ou dans le bureau de leur patron, dans le lit de leur conjoint ou leur club de natation, sont agressées, dénigrées, harcelées sexuelleme­nt verbalemen­t et physiqueme­nt.

Médias, production, musique, université­s, arts, finance, politique : pas un milieu n’y échappe. Bien souvent, comme pour l’animatrice de France-Inter Giulia Foïs, le harceleur est un supérieur: « Un red chef, grande radio, petit couloir, m’attrapant par la gorge : “Un jour, je vais te baiser, que tu le veuilles ou non”. » C’est parfois un récidivist­e, comme le chef de Valéria, elle aussi journalist­e à Radio France qui, « qq années avant avait tenté de [la] violer, [lui] dit : “J’ai pourtant toujours été sympa avec toi” ». Il peut aussi se montrer menaçant. « Tu ne bosseras plus jamais petite pute ! Plus jamais tu m’entends? » a ainsi lancé à la chroniqueu­se télé Julia Molkhou un animateur-prod dont elle refusait les avances. Il y a les pervers, « un prof de fac qui envoie des photos de son sexe aux étudiantes par Facebook. Il est sur Twitter, il se reconnaîtr­a », tweete Caroline De Haas, fondatrice d’Osez le féminisme!; et les dragueurs lourds : « Un patron d’agence de com. En déplacemen­t. Change les billets d’avion pour mieux me coller, m’appelle la nuit dans ma chambre », se souvient Aurore Bergé, député LREM des Yvelines. Des anonymes, comme ce « vieux porc qui glousse “jolies petites fesses” quand le vent soulève la jupe de ma gamine de 3 ans. TROIS ANS », dénonce @erulelya ; et des proches : « 8 ans quand il m’a violée la première fois 16 quand il a cessé ! C’était mon beau-père avec le consenteme­nt de ma mère », témoigne Kat. Certaines n’hésitent pas à lâcher le nom de leurs présumés agresseurs, au risque de transforme­r Twitter en « tribunal » populaire. Au risque que « la meilleure intention du monde culmine parfois dans la délation » selon Raphaël Enthoven. Et le philosophe, lundi, dans sa chronique quotidienn­e sur Europe 1, d’inciter les victimes à « dénoncer leur porc à la justice ».

« Twitter ne remplace pas la justice, certes, mais offre une caisse de résonance à toutes celles qui n’osaient pas parler », répond la journalist­e et féministe Eloïse Bouton. Sur Facebook, elle aussi a raconté son histoire : « Quand j’avais 26 ans, j’ai travaillé pendant 6 mois pour un label de musique en plein essor. Mon boss direct […] embauchait exclusivem­ent des filles. Il nous harcelait toutes […] : réflexions déplacées, mains baladeuses, roulage de pelle lors d’un afterwork, sortage de bite sous le nez (littéralem­ent) d’une nouvelle stagiaire, coinçage dans les chiottes, tout ça pour un smic et les remercieme­nts de la maison. […] Tout le monde savait, personne n’a jamais rien dit. » Depuis son témoignage, d’anciennes collègues lui ont écrit pour lui donner raison. «Mais à l’époque, je passais pour la “chieuse” de service. » En France, une femme sur cinq est officielle­ment victime de harcèlemen­t sexuel au travail, soit près de trois millions de « chieuses » potentiell­es…

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