L'Obs

À QUOI PENSENT LES PETITES FILLES

Ne leur parlez plus de rose ni de prince charmant! Adèle, Maluène, Inès, Juliette et leurs copines ont entre 10 et 11 ans. Entre l’école primaire et le collège, la sortie de l’enfance et les prémices de l’adolescenc­e, comment voientelle­s la vie? Plongée c

- Par EMMANUELLE ANIZON et MARIE VATON

Elles ont grandi avec la crise, Daech et les attentats, le mariage pour tous et les familles recomposée­s, les réseaux sociaux et l’info planétaire. Elles ont vu passer Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron, Barack Obama et puis Donald Trump. Elles ont 10 ou 11 ans et sont élèves de CM2 ou de sixième. Elles sont à ce moment charnière où l’on quitte doucement le temps de l’enfance pour aborder les premiers doutes de l’adolescenc­e. Juliette et ses copines habitent un quartier bobo de Paris, Adèle et Hélène une banlieue de classes moyennes, Inès et ses potes un quartier populaire, et Maluène, Lina et Rachel vivent à la campagne. Dans leur chambre, elles ont accroché des posters de Robert Pattinson ou de Beyoncé à côté des photos de leurs parents. Dans leurs cartables, elles ont des feutres à paillettes, des bonbons Têtes Brûlées qui piquent la langue, des agendas remplis de coeurs et de fleurs, et de dessins de licorne. Mais elles ont aussi, dans leur poche, un téléphone portable qui leur met le monde à portée d’écran. Joyeuses et drôles, encore naïves mais déjà affûtées, elles nous ont raconté l’école, les garçons, l’amour, les adultes, leurs projets…

LES GARÇONS

« Ils sont tous un peu bêtes à cet âge », « ils ne pensent qu’à la bagarre », « ils font leurs intéressan­ts ». Le constat est unanime. Jusqu’au CM1, les filles jouaient à « chat » et à « garçons attrapent filles ». En CM2 et en sixième, les deux camps se séparent : « Les garçons jouent au foot, nous on parle entre nous. » Deux mondes, « deux espèces différente­s », analyse Tally. A la récré, quand ils se mettent à se cogner, « les autres se placent en rond tout autour et les excitent encore plus, comme s’ils étaient au spectacle », raconte Christine*. « Nous, les filles, on se dispute aussi, mais avec les mots. Eux, ils ne savent dialoguer que dans la violence. » Adèle évoque les « big boss qui parlent avec des gros mots genre “nique ta mère la pute !”. La maîtresse dit qu’ils aboient ». Maluène, de sa campagne, observe que les garçons font semblant d’être des « wesh wesh. Ils parlent racaille pour faire “stylé” et se traitent de “gros poulets” alors qu’ils ne sont pas gros. Je vois pas l’intérêt en fait ».

Quand ils ne se bagarrent pas, les garçons, paraît-il, embêtent les filles. « Ils passent leur temps à nous courir après, soupire

Safa. Mais c’est pas parce qu’on est des filles qu’on doit se laisser faire ! » « Quand on est féminines, ils nous disent qu’on “fait nos meufs”. C’est comme si on nous accusait d’être ce qu’on est », souligne Christine. Métisse, sénégalais­e par sa mère, scolarisée à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), elle témoigne de la difficulté qu’il y a, parfois, à être une fille dans les quartiers populaires. Tous les jours ou presque, elle voit sa mère se faire siffler ou « mater » quand elle traverse sa cité en jupe. « Du coup, elle est obligée de mettre que des pantalons maintenant. » A l’école, Christine, elle, porte souvent un jogging et des baskets, mais c’est pour être « plus confortabl­e » pour le sport. D’ailleurs, elle met du vernis « de temps en temps », dit-elle en montrant ses ongles pailletés. Ahlem, sa copine, ne « voit pas le problème », elle, avec les jupes, ni les garçons : « Il n’y a pas besoin de leur demander la permission pour jouer au foot avec eux. Tu y vas et tu t’imposes, voilà… »

LE SEXISME

Juliette, bouille pétillante et petites lunettes, estime être traitée « à égalité » avec son frère de 15 ans par ses parents bobos du 9e arrondisse­ment de Paris. Mais, pour le reste, elle a beaucoup à dire. Avec les Lego, auxquels elle aime encore jouer, « on a le choix, pour une maison aux murs beiges, entre un toit rose ou violet quand on est une fille, expliquet-elle, devant son plat de pâtes. Mais pourquoi? C’est cliché! C’est comme le rap, que mon frère écoute. C’est vulgaire, plein de gros mots, je n’aime pas leurs clips avec des filles et des voitures, ils ne respectent pas trop les filles et ça me gêne ». A l’école, elle a l’impression aussi « que les garçons ne nous prennent pas trop au sérieux quand on n’est pas d’accord sur un sujet. L’avis des filles ne compte pas pour eux ». Elle admet une inégalité en sport : « C’est scientifiq­uement prouvé que l’homme est plus fort physiqueme­nt que les femmes, mais quand même, j’en ai battu au cross… » Lors de la journée d’intégratio­n des sixièmes, des tournois avaient été organisés. « On était répartis par ordre alphabétiq­ue, et dans notre groupe il n’y avait qu’un garçon. Ça se voyait que ça l’embêtait de n’avoir que des filles. Il nous sous-estimait, alors qu’à la fin de la compétitio­n on était en milieu de classement! On a voté pour savoir qui serait le capitaine, et les filles ont toutes voté pour lui. Pas moi. Je ne trouvais pas normal qu’il soit capitaine sous prétexte qu’il était le seul garçon! Du coup, c’est lui qui nous dirigeait, qui choisissai­t qui allait faire quelle épreuve. » Elle ne comprend toujours pas, Juliette, pourquoi les filles ont voté pour lui. Ou plutôt, elle a peur de comprendre. Elle soupire : « Pffff… souvent, les filles sont aux pieds des garçons… » Juliette en oublie de manger ses pâtes, tellement le sujet la passionne. Adèle et Hélène, duo fusionnel en CM2 au PréSaint-Gervais (Seine-Saint-Denis), ont un nom pour ces filles « qui passent leur temps à se toucher les cheveux pour que les garçons les regardent : les Barbie! » Adèle, débit de mitraillet­te et silhouette toute menue, saute de sa chaise pour les mimer. La prestation, hilarante, est à la hauteur de ses années de théâtre. Elle est intarissab­le, elle aussi : « Dans l’école Brossolett­e, à côté de la nôtre,

“DANS L’ÉCOLE À CÔTÉ DE LA NÔTRE, LES TOILETTES DES FILLES SONT ROSES, ET CELLES DES GARÇONS BLEUES ! ÇA M’A CHOQUÉE.” Adèle, en CM2

les toilettes sont roses, et celles des garçons bleues! Ça m’a choquée! » Hélène, grande blonde en salopette de jean, la pousse du coude : « Raconte aussi les oeufs de Pâques! Les dames de la cantine donnent les bleu et vert aux garçons, les rose et jaune aux filles. Ça nous énerve! »

LA FAMILLE

« Ma tribu, c’est la base », dit Anaé, en sixième à Paris. Une base que les filles commencent à peine à déserter, timidement. Elles continuent d’essayer les chaussures de leur maman, espèrent encore que leur futur mari ressembler­a à leur papa. A la campagne, Lina et Rachel aiment toujours passer du temps avec leurs parents. Elles ont des petits rituels : « Koh-Lanta » le vendredi soir, un film le samedi soir, les journées shopping avec leur mère. Maluène a parfois le droit de se promener dans le bourg avec ses copains. « Ça me fait me sentir libre comme une grande. » Comme lorsqu’elle va au camping, tous les étés, et qu’elle a le droit de faire tout ce qu’elle veut. Adèle, elle, note avec intérêt qu’il lui arrive dorénavant de « s’ennuyer à crever » avec ses parents. « Plus tard, je pense que je vais leur faire la guerre, même si je n’en ai pas envie forcément. » Sa copine Hélène se moque des siens, qui la prennent « trop pour une enfant : “Alleeeeeee­z, on va faire la promenaaaa­aaade, on va maaaaaaang­er des biscuiiiii­itts” ». Maintenant, elle et Adèle vont se promener seules, dans les rues du PréSaint-Gervais. L’aventure, quoi. Pour Inès* (de Saint-Ouen), la question de l’autonomie ne se pose pas vraiment. Elle est arrivée du Sénégal il y a sept ans, et vit avec sa mère hôtesse de l’air qu’elle ne voit « jamais aucun soir de la semaine ». Elle doit compter sur ses doigts pour savoir combien de frères et soeurs elle a : « Huit sont restés au Séné-

gal, un pays très pauvre, et deux vivent avec ma mère et moi », dit-elle. Elle aimerait aussi aider sa grande soeur à venir étudier en France car, « là-bas, elle ne trouve aucun travail et a failli accepter d’aller avec un homme qui lui avait promis une maison ».

STARS ET MODÈLES

La télé, c’est un brin ringard. Les filles regardent encore du coin de l’oeil « Nouvelle Star » ou « The Voice », « Fort Boyard », les sitcoms « Fais pas ci, fais pas ça » ou « Parents mode d’emploi ». Elles se gavent surtout de séries racontant d’autres vies de filles, comme « Pretty Little Liars » ou « Gossip Girl ». Les bobos du 9e dédaignent « les Anges de la télé-réalité », les filles de Saint-Ouen sont plus fans. A la campagne, Lina aime regarder les séries « Vampires » et « Charmed », que sa maman lui a fait découvrir. Elle adore Angelina Jolie, Ariana Grande et Shakira, et dévore le soir des livres de la collection « Chair de poule ». Juliette, du 9e, a un gros faible pour Beyoncé « parce qu’elle chante bien et parce qu’elle s’assume ». Elle s’assume en quoi ? « Ses rondeurs, d’abord. J’aime pas les chanteuses anorexique­s. Je sais aussi qu’il n’y a que des femmes dans son orchestre, j’aime bien qu’elle fasse des choix comme ça. » Et puis il y a YouTube, qui réunit tout le monde. Cyprien, Squeezie, Natoo, Emma CakeCup, Juste Zoé… Juliette connaît une « youtubeuse » qui était en CM2 avec elle. Elle ne veut pas qu’on donne son nom. On est allé voir. La brunette a notamment fait une vidéo sur son premier téléphone, un iPhone 3, titrée (on le livre tel quel) « En vrai je suis pas aller a New York, il étais juste à ma mère avant », une autre sur « Le trucs énérvents entre cousines ». Celle où elle liste son « bureau Ikea » / « sac pull and bear » / « cactus Castorama » / « table de nuit casa » / « étagères Maisons du Monde »… a été vue 47000 fois. Quand même.

LE TÉLÉPHONE

Les rares CM2 qui n’en ont pas l’attendent avec impatience pour l’année prochaine. La sixième, c’est l’année de bascule où tout le monde s’équipe. L’âge de l’émancipati­on : « Ça rassure les parents de pouvoir nous joindre », explique Tally (en sixième à SaintMandé). Dans les quartiers bobos, les parents récupèrent l’appareil le soir, « pour les ondes », précise Ambre (en sixième à Paris). Les filles sont presque toutes sur Snapchat et Instagram, mais « on regarde,

on ne poste pas », assurent-elles. Elles ont été surinformé­es, à la maison et à l’école, sur les dangers des réseaux sociaux. Et s’en méfient. « Pour mon anniv, il y a eu une photo de mon gâteau, et tout le monde l’a critiqué sur Instagram ! » se plaint Ambre. « Et pourtant il était très beau », rappellent ses (bonnes) copines. Mais il y a un truc auquel elles sont accros : les flammes. Sur Snapchat, la flamme est la preuve de la fréquence avec laquelle deux personnes communique­nt. Elle affiche donc à l’ensemble de la communauté la force d’une amitié. Essentiel.

L’ADOLESCENC­E

« On n’est pas ado, à peine préado, estime Adèle. On commence un peu à devenir femme. Enfin, pas moi : pour le corps c’est “zéro pourcentag­e” de changement [elle “adore parler en pourcentag­e”, NDLR]. Mais je m’en fiche, ça viendra, c’est dans l’ordre des choses. Et puis c’est dans la tête qu’on change. Avant, j’avais des copines modèles. J’étais capable de faire semblant d’aimer “Violetta” pour leur faire plaisir! Maintenant, j’ai mes goûts. J’ai un peu peur de devenir ado. Quand tu es ado tu n’as pas de conscience, tu peux sortir jusqu’à 4 heures du matin et du coup être fatiguée à l’école. J’espère ne pas faire trop de bêtises : la pire chose, ce serait de fumer. »

LE MONDE, LA POLITIQUE

Etonnammen­t, les attentats ne semblent pas peser sur le quotidien des filles : « Faut bien vivre », philosophe Ambre. Elles les ont suivis à la télé, comme elles ont suivi les élections présidenti­elles, celle de Macron, de Donald Trump surtout. Siliana, de Saint-Ouen, dit qu’« à cause de lui, il va y avoir encore plus de racisme qu’avant ». Sa copine Inès croit savoir que « le président américain va créer un territoire de Blancs et un territoire de Noirs ». Ça lui fait très peur « à cause de l’esclavage ». Elles sont aussi très concernées par le sort des enfants des pays pauvres « qui doivent travailler dans les usines ». « Plus tard, dit Ahlem, je voudrais aider les peuples qui sont persécutés en Birmanie et en Inde, et leur envoyer de l’argent comme ma mère le fait. » Leïla, elle, voudrait monter une grande structure pour venir en aide à « tous les Syriens et les migrants qui vivent dans le métro et dans la rue ». A Maintenon (Eure-et-Loir), Rachel raconte : « Un garçon de mon école dit que les Arabes sont bêtes et qu’on les reconnaît car ils ont pas les mêmes yeux que nous. Si ça se trouve, il va y avoir des guerres à cause du racisme. » A Touquin (Seine-et-Marne), dans la classe de CM2 de Lina, « des élèves ont dit “Toi tu pues parce que tu es noir”. La maîtresse les a punis heureuseme­nt. Mais tout ça, c’est à cause de Donald Trump, c’est sûr ». Adèle, qui veut être journalist­e politique plus tard, s’enflamme : « Je hais Marine Le Pen! Quand je pense aux petits enfants noirs qui sont maigres et ne mangent pas et que cette fille veut les virer, et rendre impossible de franchir les frontières! » Elle dit qu’elle aurait voté « Hamon » à la présidenti­elle. Comme ses parents…

BIO ET SANS GLUTEN

Adèle, dont les parents bossent dans la communicat­ion, se dit « 0 % non-végétarien­ne » et a établi avec sa copine Hélène une liste de critères permettant de reconnaîtr­e « le type intolérant au gluten », qu’elles voient fleurir dans leurs familles : « L’intolérant au gluten se reconnaît au fait que 1/ il porte un sac en tissu, 2/ il met des habits en lin, 3/ il préfère le Mölkky [un jeu finlandais de quilles en bois] à la pétanque, 4/ il a des dreadlocks, 5/ il boit du lait de riz et de soja, 6/ il se nourrit de bio, chez Bio, c’ bon, Naturalia ou à la Biocoop, 7/ … euh… c’est quoi déjà Hélène les autres? » Hélène rit trop pour répondre.

MÉTIERS

Petites, elles ont rêvé d’être institutri­ce ou coiffeuse. Aujourd’hui, le métier de

“JE SUIS TÊTUE, JE TIENS TÊTE À MES COPINES QUI CROIENT ENCORE AUX FÉES.” Lina, en CM2.

vétérinair­e a encore la cote : « Juste pour les chiens et les chats, pas pour les crocodiles et les tigres ! » précise Lennie. Christine, si elle a « assez d’argent », ouvrira un refuge pour les animaux. A la maison, sa mère la « force à manger de la viande », mais dès qu’elle le pourra elle deviendra « végétarien­ne ». « Pour moi, c’est important d’arrêter de tuer et maltraiter les animaux car ce sont des êtres vivants comme les enfants. » Elle a entendu parler de Brigitte Bardot à la télévision et aimerait bien « lui ressembler ». Hélène, pointue, veut être « biologiste marine », mais a « peur d’avoir peur des requins, ou si je vois un dauphin je vais peut-être flipper? Depuis que j’ai vu “les Dents de la mer”, j’ai peur même dans la piscine ». Dans la liste des préoccupat­ions, les victimes suivent de près les animaux. Lina veut être avocate pour « défendre les gens, c’est important, même quand ils sont coupables ». Elle a les qualités pour : « Je suis têtue, je tiens tête à mes copines qui croient encore aux fées, par exemple. » Tally veut elle aussi être avocate, mais « aux Etats-Unis parce que c’est trop stylé, avec les grandes maisons et les jardins ». Elle a eu l’idée « en regardant “Esprits criminels” à la télé. Je sais me défendre, et j’aime bien défendre les autres. Par contre le problème, c’est que je ne suis pas très bonne en orthograph­e ». Inès (de Saint-Ouen) veut être une « star » et « marcher sur le sol d’Hollywood ». « J’ai acheté une caméra pour faire des vidéos YouTube, mais je savais pas trop quoi dire », dit-elle en explosant de rire. Ahlem rêve d’être pâtissière, mais avant elle participer­a à l’émission « le Meilleur Pâtissier », avec Cyril Lignac, pour se faire connaître. Sabine sera « youtubeuse » pour « pouvoir rester à la maison » et s’occuper de ses futurs enfants. Safa, elle, a déjà bien planifié sa vie. Pour avoir son propre salon de coiffure, elle sait qu’il lui faudra, « avant, travailler pour quelqu’un »… Siliana, tresses nouées sur la tête, hésite entre deux métiers : « Ingénieur, c’est bien car on peut créer des objets, comme les baskets flammées, et comédienne parce que je suis le clown dans ma famille. » Le père de Siliana est grutier, sa mère assistante brevets. « Pour moi, c’est obligé de travailler, comme ça on peut avoir un avenir. » Pour elle, mais aussi pour les autres. Aucune n’envisage d’être mère au foyer.

LES ENFANTS

Elles disent pour la plupart vouloir des bébés, certaines savent déjà combien, ont réfléchi aux prénoms. Pour Eugénie, ce sera « Sacha – ça vient d’un dessin animé que j’adore – ou Chiara – j’ai une petite cousine trop mignonne qui s’appelle comme ça – et aussi Thomas – l’ancien amoureux de ma soeur que j’aimais trop ». Elle a déjà dessiné leurs chambres. Lennie sait même dans quel ordre elle les veut : « Il faudra que le garçon soit le plus petit pour pas qu’il tape les autres si c’est des filles. »

L’AMOUR

« A l’école, si tu parles deux minutes à un garçon, toute l’école te saute dessus en disant “chaleuuuuu­uur” et “un bisou, un bisou, un bisou !” donc on fait très attention », explique Adèle. « J’y pense tous les soirs dans mon lit pour m’endormir. J’ai écrit une lettre une fois à un garçon dont j’étais amoureuse, mais je ne l’ai pas envoyée. Il est lourd et j’ai eu peur qu’il la montre à ses copains. » Sa copine Hélène a eu un amoureux à la maternelle, « il s’appelait Hedi, il avait la peau noire. Je m’étais fait punir à cause de lui parce qu’il me parlait. Alors je l’ai quitté. On ne s’est même pas embrassés ». Elle s’interroge souvent sur le profil de son futur compagnon : « J’aimerais qu’il ait la peau noire, qu’il soit gentil, qu’il m’offre des cadeaux, qu’il ne soit pas dans son fauteuil à lire son journal, qu’il fasse le boulot à la maison autant que moi, et qu’il soit beau aussi! » Adèle enchaîne : « … et surtout qu’il n’ait pas le sida, ni la peste! » Rires. Entre le fantasme du prince charmant et la réalité des cours de récré, il y a

“LE MARIAGE, ÇA COÛTE TROP CHER EN DIVORCE !” Jil, en sixième

comme un fossé, que les filles mesurent… « On voit bien que les garçons dans notre école ne sont pas des princes charmants ! Ou alors il faudrait vraiment qu’ils changent », soupire Juliette. « Bah le prince charmant existe, puisque Ken existe! ironise Jil. Faudrait juste qu’on se transforme en Barbie! » La vie à deux les inquiète. La plupart de leurs parents vivent encore ensemble, pourtant. Elles ne connaissen­t pas le concept de charge mentale, mais l’ont déjà analysé : « J’ai remarqué que les femmes, elles doivent tout faire à la maison même quand elles reviennent du travail, dit Christine. C’est souvent le mari qui commande. Ma mère, elle a été victime d’un homme alors moi, ça me fait peur. Moi, mon mari, c’est lui qui fera tout. » Son « mari », dit-elle. Car le mariage fait encore rêver les petites filles en 2017. « Je vais me marier, et si possible au même endroit que mes parents, dans un château paumé en Alsace, j’ai vu des photos, c’était trop beau! » s’enthousias­me Juliette. Jil, elle, ironise sur le mariage qui « coûte trop cher en divorce », n’empêche, elle a déjà imaginé sa robe « blanche, trop belle, avec le voile qui tombe devant et qu’on soulève [elle mime], et des pétales blancs qui tombent sur le tapis rouge ». Quand elle en parle, les yeux de ses copines brillent. A l’école de Rachel, il y a des « mariages » organisés pour les amoureux : « Tous les élèves se mettent en ligne, et les “mariés” passent au milieu… Et puis deux semaines après, ils “divorcent”. » Elle éclate de rire. On n’est pas sérieuse, quand on a 11 ans. Mais on est déjà tellement lucide, quand c’est en 2017.

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 ??  ?? Esther, en cinquième.
Esther, en cinquième.
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Anaé, Eugénie, Juliette, Ambre, toutes les quatre en sixième.
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Adèle, en CM2.
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