Rap Le retour du slow
Le rap français RALENTIT pour devenir planant et ROMANTIQUE. La faute à la CODÉINE
Un peu de tendresse au milieu du chaos, de frotti-frotta au milieu des « kalach »? Ces derniers temps, tout un pan du rap français décélère. Le slow qui dorait jadis la variété française en mode été indien et Trente Glorieuses ferait-il son retour là même où on ne l’attendait pas, dans le champ névralgique et frénétique du rap, musique réputée sans espoir et sauvageonne ? Rap : attention ralentissement? En France, avec les morceaux planants et nébuleux du groupe PNL, dit cloud rap, le rythme s’était déjà alangui, bien en deçà des 90 battements par minute de l’orthodoxie hip-hop. Et voici que « le Code », du beatmaker vendéen Myth Syzer, beau morceau engourdi, presque flemmard, où le tempo semble suspendre son vol, s’impose comme le tube français de toutes les soirées. Dans « le Code », ni dealer ni « kalach », tout n’est plus que love, roman-photo, sirop de langueur et romantisme d’Epinal: « Donnemoi le code du bâtiment mon amour, J’te ferai la cour, oui, tous les jours, J’te ferai l’amour, mon amour mon amour. » A l’origine du « Code », une rupture amoureuse : « On venait de se séparer avec ma copine et je voulais lui rendre visite par surprise, raconte Myth Syzer. Je n’ai pas pu : le code de son immeuble [à Saint-Ouen] avait changé. Pour moi, “le Code” perpétue l’esprit de la variété française des années 1980 et 1990 », explique ce fils d’un ébéniste de La Roche-sur-Yon. Le rappeur Ichon, qui chante sur « le Code », chante aussi sur « Si l’on ride », pavane languissante et bucolique avec cheval et feu de bois, qui évoque Voulzy et Balavoine. Sur « La fête est finie », le nouvel album d’Orelsan, il y a aussi un cloud rap indolent, de la même veine: « la Lumière ». Mais, cette fois, le thème n’est pas l’état amoureux. C’est l’extase de la drogue: « Je sais pas ce qu’ils ont glissé dans mon verre pour que la nuit devienne la lumière… Alléluia », psalmodie Orelsan, avec un trouble émerveillement et un Vocoder. « La Lumière » éclaire « le Code ». Car le ralentissement du rap s’enracine dans les pratiques toxicomaniaques des rappeurs: ce changement de vitesse s’explique notamment par l’usage récréatif de la codéine. En France, la presse l’appelle « la drogue des ados ». En juillet 2017, le ministère de la Santé inscrivait cet opiacé dormitif, que l’on trouve notamment dans le sirop contre la toux, sur la liste des médicaments délivrés uniquement sur ordonnance, après la mort par overdose d’une adolescente de 16 ans. D’un point de vue strictement esthétique, les vertus relaxantes de la codéine s’opposent aux effets psychostimulants de la cocaïne et du crack cocaïne, qui infusaient le rap des origines, dans les années 1980. La première ralentit le rythme cardiaque, les seconds l’accélèrent. « Pour expliquer le ralentissement actuel d’une certaine partie du rap, il faut remonter à DJ Screw », explique Myth Syzer. Une page d’archéologie : Robert Earl Davis Jr., alias DJ Screw, est mort d’une overdose de codéine en 2000. C’est lui qui, durant les années 1990, dans les quartiers sud de Houston, commence à réduire la vitesse des disques sur ses platines. Sous son influence, le dirty South, ce rap originaire du sud des Etats-Unis, descend jusqu’à 60 battements par minute. Au début des années 2010, des rappeurs comme A$AP Rocky et Young Thug consomment de la codéine sous forme de cocktail (sirop à la codéine + prométhazine + Sprite + bonbon) et nomment expressément le produit dans des morceaux gorgés de nonchaloir. Citons par exemple « Codeine Crazy » de Future. « En France, il y a bien longtemps que le rap a délaissé la révolte, la revendication sociale et les “Nique la police”, explique Stéphane Ndjigui, responsable du pôle urbain chez Because. Le message de ce rap lent, c’est, pardon pour l’expression, “On s’en bat les couilles de vous, on est dans notre monde, dans nos réseaux, nos soirées”. » Le rap coupé à la codéine façonne un monde parallèle. Il fait sécession d’avec ce qu’on appelle le monde commun. Il ne revendique rien qu’un droit illimité à un irrédentisme absolu.
Pure chanson d’amour, « le Code » s’inscrit dans cette généalogie de la lenteur. Evidé de son funeste héritage d’opiacé et d’overdose, il consacre le « rap codéine » sans codéine. On l’a vu, nulle allusion à la drogue dans la ballade brumeuse de Myth Syzer – même si la pointilleuse brigade des stups pourrait estimer que le mot « codéine » résonne de façon cryptique dans le titre même du morceau : « le Code ».