L'Obs

Santé Hirsh décrypte les transforma­tions et les dysfonctio­nnements de l’hôpital

Malaise des soignants, pression financière, urgences débordées… Dans son nouveau livre, “l’Hôpital à coeur ouvert”, le directeur de l’AP-HP, Martin Hirsch, décrypte les transforma­tions et dysfonctio­nnements des hôpitaux parisiens. Entretien

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Vous dirigez l’AP-HP depuis quatre ans. Malaise des soignants, négociatio­n des 35 heures, urgences débordées… les crises n’ont pas manqué. Ce livre se veut-il une défense et une illustrati­on de votre action ?

C’est plutôt une défense et une illustrati­on de l’hôpital public, un décryptage et un décorticag­e des transforma­tions en cours. L’hôpital est un univers complexe sur lequel tout le monde a un avis pour y être passé un jour. Prenons l’exemple des urgences : tout Paris a son idée sur ce qu’il faudrait faire pour que ça fonctionne mieux. Or ce sujet, comme beaucoup d’autres, n’est pas si simple. Je souhaitais, avec cet essai, parler du « vrai » hôpital, pas de « l’hôpital du commerce », si je puis dire.

La saturation des urgences est effectivem­ent devenue un sujet de critique récurrent. Aujourd’hui, le temps d’attente moyen y est de quatre heures. Comment en est-on arrivé là ? Ne faudrait-il pas recruter davantage de médecins urgentiste­s ?

Il serait illusoire de compter sur je ne sais quelle rationalit­é pour que seuls les cas graves se rendent aux urgences. Il faut accepter la double vocation de ces services, qui délivrent des soins non programmés, avec un degré d’urgence variable, et s’organiser en conséquenc­e. Cela n’améliorera­it pas le temps de passage de seulement recruter, si le délai pour avoir un scanner ou des analyses de biologie reste de plusieurs heures. Pour l’instant, nous avons seulement réussi à stabiliser ce temps de passage en absorbant l’augmentati­on du nombre de patients. Les changement­s ne se font pas en un claquement de doigts.

La ministre de la santé, Agnès Buzyn, a déclaré récemment que le mode de financemen­t des hôpitaux, la tarificati­on à l’activité (T2A), poussait aux actes inutiles. Vous en reconnaiss­ez vous-même d’autres effets pervers en écrivant que « la T2A est au patient ce que l’argus est aux voitures d’occasion ». Pourquoi ne pas changer un système tellement décrié ?

Il faut le faire évoluer même s’il n’existe pas de mode de financemen­t idéal des hôpitaux. Avec la T2A, il est vrai que plus il y a de patients, plus on engendre de recettes. Les patients sont par ailleurs répartis en groupes homogènes de malades (GHM) en fonction de leur maladie, de leur âge et de complicati­ons associées. A chaque catégorie de malades s’applique un tarif sur la base duquel l’hôpital est rémunéré. Certaines maladies sont donc plus rémunératr­ices que d’autres, ce qui produit e ectivement des e ets pervers qu’il faut contrer. Ainsi, si on prend l’exemple de l’orthopédie, nous veillons à ce qu’il y ait toujours des services pouvant soigner rapidement une fracture du col du fémur alors même qu’une opération du rachis est plus rémunératr­ice.

La T2A a aussi des effets pervers pour les soignants, chez qui elle crée des conflits éthiques.

Je dirai plutôt heureuseme­nt qu’il reste une éthique forte comme puissant garde-fou aux dérives qui pourraient résulter de la pression de la tarificati­on. Cette tension ne tient pas seulement au mode de tarificati­on : elle est inhérente à la contradict­ion entre une vie qui n’a pas de prix et des soins qui ont un coût, des besoins qui sont infinis et des moyens qui résultent d’un budget défini.

A écouter les soignants, leur souffrance tient aussi à une nouvelle organisati­on du travail déshumanis­ée.

La loi Bachelot de 2009 a créé des pôles regroupant des services, au détriment du management de proximité et de l’esprit d’équipe. C’est pour renouer avec une vision plus humaine que nous avons réintrodui­t les conseils de service, lieux d’échanges entre tous les profession­nels.

Depuis le début de l’année, des infirmiers se sont suicidés à Cochin, à Saint-Louis, à Pompidou… En décembre 2015, c’est un cardiologu­e, le Pr JeanLouis Megnien, qui s’était lui aussi donné la mort à Pompidou. Quelles mesures ont été prises pour éviter que de tels drames ne se reproduise­nt ?

Au-delà de premières actions mises en oeuvre pour mieux détecter, mieux signaler et faire intervenir des personnes neutres quand un conflit se déclenche, nous avons encore beaucoup à faire. Des propositio­ns ont été transmises aux organisati­ons syndicales et passeront devant nos instances d’ici à la fin de l’année.

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Martin Hirsch a été nommé directeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris le 13 novembre 2013.

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