Les chroniques de Daniel Cohen, Raphaël Glucksmann, Marie Darrieussecq
Directeur du département d’économie de l’Ecole normale supérieure.
L’euphorie financière a repris. Aux Etats-Unis, les indices boursiers ont été multipliés par deux par rapport aux niveaux atteints à la veille de la crise, en 2007. Selon l’économiste Robert Shiller, qui reçut le prix Nobel pour ses travaux sur les bulles financières, jamais le prix des actifs américains n’a été aussi élevé. Cette envolée doit peu au dynamisme retrouvé de l’économie et beaucoup au fait que les taux d’intérêts soient très bas. Quand les emprunts (d’Etat) ne rapportent plus rien, les investisseurs se tournent vers la Bourse, ce qui tend mécaniquement à la renchérir.
Pourquoi les taux d’intérêt sont-ils si faibles ? La réponse est simple : les taux sont bas parce que l’inflation est faible. Aux Etats-Unis, alors même que l’économie est réputée être revenue au plein-emploi, l’inflation reste obstinément sous la cible de 2% fixée par la Banque centrale. En Europe, la situation est encore plus nette, l’inflation prévue cette année pourrait être de 1,5%, mais selon les prévisions de la BCE, elle pourrait baisser à 1,2% l’an prochain, bien loin des 2% recherchés !
Ce qui mène à la question centrale : pourquoi l’inflation est-elle si faible, notamment en matière salariale ? C’est le grand mystère du monde contemporain. Le FMI, dans son dernier rapport, consacre un chapitre entier à la question. Sa conclusion est double. D’une part, sous le masque de statistiques rassurantes en matière de chômage, la précarisation de l’emploi reste forte. D’autre part (et de manière concomitante), la numérisation fait craindre à un grand nombre de travailleurs de perdre leur emploi. Par ces deux bouts, le pouvoir de négociation des employés est devenu beaucoup plus faible, ce qui explique que l’inflation salariale reste basse, même dans les pays où l’on pourrait croire que le plein-emploi est revenu.
Jamais la politique monétaire n’a été soumise à un tel dilemme. Remonter les taux fait courir le risque d’un krach financier. Maintenir les taux faibles, c’est alimenter la bulle financière. Le moindre écart dans un sens ou dans l’autre peut déclencher une catastrophe. En Europe, la difficulté est redoublée par une autre considération sur le taux de change. Compte tenu des excédents commerciaux européens, dus en grande partie à ceux de l’Allemagne, le moindre signal que les taux européens remontent pourrait conduire à une formidable appréciation de l’euro par rapport au dollar.
C’est dire que président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, est encouragé à maintenir des taux bas, même s’il essaie aussi de réduire la voilure de son programme de liquidités abondantes. Il lui reste deux bonnes années à la tête de la Banque centrale, mais la question de savoir qui le remplacera deviendra vite l’objet des spéculations. Les Allemands voudront imposer le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, qui ne rêve que de clore cette séquence de taux bas. Ce sera le véritable baptême du feu de la coopération francoallemande. L’enjeu sera rien moins que d’écarter le risque d’un nouveau krach.
REMONTER LES TAUX FAIT COURIR LE RISQUE D’UN KRACH FINANCIER. MAINTENIR LES TAUX FAIBLES, C’EST ALIMENTER LA BULLE FINANCIÈRE.