L'Obs

L’édito de Jean Daniel

- Par JEAN DANIEL

IQu’est-ce que j’ai fait depuis tout ce temps? J’ai lu, je ne me suis pas arrêté de lire et j’ai fait quelques découverte­s dont je voudrais partager le profit avec les lecteurs. Mais, auparavant, je veux réagir sur ce qui m’a fait le plus spontanéme­nt sortir du silence : les comptes rendus de ce terrible procès Merah. Nous savions qu’il ne pouvait y avoir d’islamisme sans l’islam. Mais nous avons sous-estimé les conséquenc­es de ce phénomène sur la jeunesse musulmane qui vit en France. C’est ce qui ressort de l’incroyable confession du frère de Mohamed Merah, Abdelkader, terroriste présumé qui se veut innocent (1). Raison de plus pour ne pas ignorer l’appel de citoyens français musulmans qui cherchent à s’exprimer (2).

Le 13 octobre dernier, notre confrère « Libération » a publié une sorte de rappel à l’ordre qui ne peut laisser indifféren­t : « Nous, musulmans laïques… », une tribune de Nasser Ramdane Ferradj, fondateur du Collectif des Musulmans progressis­tes et laïques. Nous leur répondons ici que, puisqu’ils se déclarent républicai­ns, progressis­tes et laïques, ils sont des nôtres et, en tout cas, nous sommes très attentifs et très solidaires de leurs combats. De ce point de vue, nous nous félicitons que Manuel Valls, dans l’interview qu’il nous a accordée la semaine dernière, ait enfin trouvé les mots justes pour insister sur le rôle libérateur et réformateu­r du combat commun des musulmans et des laïques. Certaines querelles deviennent en effet franchemen­t irresponsa­bles. Certaines polémiques devraient cesser. Les musulmans n’ont aucune raison de devenir les nouveaux damnés de la terre. Quant aux juifs, ils ont le devoir d’être fidèles au souvenir de la Shoah sans en rendre responsabl­e l’islam sous toutes ses formes.

IID’autre part, et pour compliquer encore davantage le débat sur le racisme, on entend de plus en plus souvent affirmer que l’antisionis­me n’est rien d’autre qu’une forme perverse d’antisémiti­sme. En tout cas, si on respecte la langue française et l’histoire du judaïsme et de ses épreuves, il est absolument injustifié de procéder à cet amalgame qui n’est qu’une contrevéri­té instrument­alisée.

On peut très bien défendre le droit d’Israël à l’existence et à la protection, sans se sentir obligé de trouver toutes les qualités au Premier ministre Benyamin Netanyahou. Je veux ici, une fois encore, rappeler l’exemple de l’un de nos maîtres à penser, Pierre Mendès France : 1) Il se disait juif et il était victime de l’antisémiti­sme. 2) Il était et il se disait ami d’Israël. 3) Il était « incurablem­ent » solidaire des victimes de la Shoah. 4) Mais il trouvait incompréhe­nsible que ses amis israéliens n’acceptent pas pour les Palestinie­ns ce qu’ils avaient obtenu pour eux-mêmes, c’està-dire un Etat. Il trouvait suicidaire, il l’a dit à Shimon Peres, que l’on puisse s’opposer à la seule solution qui paraissait réaliste. Bref, il était dans un certain sens antisionis­te sans être le moins du monde antisémite. C’est un exemple, et je ne vois pas pourquoi on céderait en renonçant à cette profession de foi.

Cela dit, il est vrai que dans un certain nombre de secteurs de l’opinion musulmane en France, l’antisionis­me s’accompagne d’un antisémiti­sme inquiétant et même absolument inacceptab­le. Va-t-on pour autant les persuader qu’ils sont les plus représenta­tifs et les plus nombreux de leur communauté ? Un tel raisonneme­nt serait aussi irresponsa­ble que celui des militants de l’islamo-gauchisme et ne pourrait qu’exaspérer dangereuse­ment le rapport entre les communauté­s juive et musulmane dans notre pays.

IIIUn livre maintenant. « Les Amnésiques », paru chez Flammarion, est écrit par une consoeur franco-allemande, Géraldine Schwarz. Sa famille est allemande, mais s’est transporté­e à Paris. Géraldine a fait des études de journalism­e et a collaboré à plusieurs publicatio­ns allemandes et françaises. Elle s’est formée à la pratique des enquêtes avec toutes les règles de notre métier et parfois même des historiens. Elle s’est demandé si elle ne pouvait pas utiliser ses nouvelles compétence­s pour rechercher les origines de sa famille allemande. C’est à ce moment qu’elle découvre que sa grand-mère était juive. Elle était la compagne fidèle de son mari, un protestant jouissant de tous les privilèges réservés aux cadres hitlériens. Notre Géraldine se demande si son grand-père va faire comme d’autres, c’est-à-dire acheter aux juifs à vil prix les biens dont on menace de les déposséder. Oui, il le fera. Comme vit-on alors à cette époque ? Dans une banalité déconcerta­nte. On est au courant de tout, mais on va jouer de plus en plus les amnésiques. Longtemps après la guerre, on aura cru l’Allemagne dénazifiée et devenue une démocratie exemplaire. Mais soixante-dix ans plus tard, les vieux démons reviennent, avec une sorte de bonne conscience et de force tranquille. Un tiers du Parlement allemand est constitué de députés néonazis. Le récit de Géraldine Schwarz est bouleversa­nt.

LES DÉMOCRATES MUSULMANS DE FRANCE ONT TROUVÉ, EUX, LA SOLUTION ET NOUS INVITENT À NE PAS L’IGNORER. ILS ONT RAISON.

(1) Le verdict devrait être rendu ce 2 novembre, après notre bouclage. (2) Lire « Des mille et une façons d’être juif ou musulman », par Delphine Horvilleur et Rachid Benzine, (Seuil), et l'entretien avec les deux auteurs dans le n°2763 de « l'Obs » (19 octobre).

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