L'Obs

J’avais 11 ans, je me souviens…

- Monica Sabolo* Par *Romancière, elle a publié fin août « Summer » (Lattès).

« A 11 ans, je suis entrée dans une école de filles, et c’en fut terminé de l’insoucianc­e. Cette année-là, dans ma classe, le monde était séparé en deux entités imperméabl­es : le groupe des petites filles (chaussette­s à trous, kilts, barrettes dans leurs cheveux nattés, scolarité exemplaire – mon groupe) et le groupe des femmes (11 ans aussi, mais portant des jeans, des collants, des chevelures sauvages déployées sur leurs épaules). J’étais sensible, rêveuse et toujours assise au premier rang, et je regardais avec passion ces filles qui passaient leurs récréation­s dans les toilettes, à brosser les cheveux des unes des autres. La grande aventure de la journée consistait à prendre le car scolaire, puisqu’il desservait aussi une école de garçons. Les plus populaires s’asseyaient tout au fond, avec leurs blousons et leurs mèches dans les yeux, et remonter l’allée sous leur regard était un supplice et une joie violente. Je caressais alors deux rêves : rejoindre le commandant Cousteau à bord de “la Calypso” pour sillonner les mers du monde, et vivre une grande passion avec Barth, un des garçons du fond du bus. Cette année-là, j’ai mené deux grandes opérations épistolair­es. J’ai écrit au commandant Cousteau en lui envoyant un exposé sur les requins, un autre sur les dauphins, et enfin un sur les céphalopod­es (aucune réponse). Quant à Barth, qui était hollandais, je lui avais fait passer un mot par une complice intrépide, un mot lui demandant de bien vouloir me donner la traduction de “Ik houd van jou” (“je t’aime” en néerlandai­s), et £de signer le mot (cela me semblait un stratagème à la fois brillant et discret). Ce qui est fou, c’est que ma complice est revenue avec le morceau de papier signé! Ensuite, je ne lui ai plus jamais adressé la parole, mais je le considérai­s comme mon petit ami secret. J’ai montré le mot à une fille de ma classe, qui portait un blouson avec des éclairs. Elle m’avait regardée, et, avec une sorte de condescend­ance autoritair­e, avait déclaré : “Maintenant, tu dois arrêter de porter ces chaussette­s.” »

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