L'Obs

J’avais 12 ans, je me souviens…

- Par Olivia Ruiz* *Chanteuse, elle a sorti son 5e album, « A nos corps aimants », l'année dernière.

« Quand on passe les onze premières années de sa vie à traîner des pieds dans un café, on apprend l’humain sous toutes ses formes et l’on se forge une grande curiosité pour l’autre.

J'étais donc un Tom Sawyer en jupette, libre et vagabonde, rêveuse, mais connectée au monde car ayant grandi dans une auberge espagnole. Chez les Latins, et particuliè­rement chez ceux qui ont subi le trouble assassin de l’exil, l’enfant est roi et possessive­ment, vigoureuse­ment, passionném­ent aimé.

Le juke-box crachait du Madonna, du Rita Mitsouko, du George Michael et du Higelin, mais juste en face, dans le garage de mon pote Olivier, les cassettes de hip-hop, d’Assassin à NTM, arrivaient depuis Paris où son cousin David ne manquait pas de nous alimenter. Un monde nouveau se dessinait et à travers cette musique, c’était la capitale et ses banlieues que nous apprenions, comme un pays lointain mystérieux et si excitant.

Tout mon petit univers se résumait à ce village de 680 habitants dont le centre névralgiqu­e était notre hôtel/bar/ resto/presse/tabac/ essence… La Terrasse. Le canal du Midi le traversant, nous étions souvent envahis par ceux que l’on appelait joyeusemen­t “les bateaux” (touristes allemands, anglais, hollandais…) car ils faisaient grimper le chiffre d’affaires et apportaien­t de l’exotisme dans notre petite vie rurale.

Je me souviens avoir découvert les cétacés via les bouquins de Cousteau avec un pensionnai­re installé chez nous, d’avoir passé des heures à coiffer une vieille anglaise qui m’apprenait péniblemen­t quelques mots, d’être tombée follement amoureuse d’un garçon bien trop vieux pour moi, d'avoir été interpellé­e par deux femmes qui partageaie­nt plus qu’une chambre.

Quand nous avons vendu notre café, j’avais presque 12 ans. Je n’étais pas vraiment prête à affronter cette deuxième phase de la vie qu’est l’adolescenc­e, ses joies et ses désespoirs. Finalement, malgré l’activité bouillonna­nte du café, j’étais génialemen­t protégée de toute malveillan­ce. Ma grand-mère était aux fourneaux, mon grand-père gérait le tiercé et les cartes, mes jeunes oncles et mes parents se partageaie­nt le reste.

Il se peut que ces rencontres aient fait de moi la grande voyageuse que je suis devenue. En tout cas, à 12 ans j’étais une adolescent­e encore joliment naïve, mais plus pour très longtemps, et joyeuse, puisque j’aimais faire rire et chanter pour amuser mon monde. Je ne savais pas encore que j’allais faire passer à mes parents les cinq pires années de leur vie, en expériment­ant, toujours, mais plutôt du côté des pires interdits. Il faut que jeunesse se passe, non ? Eh bien la mienne s’est amplement passée ! »

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