L'Obs

UN ÉTERNEL MYSTÈRE POUR LES GARÇONS

Certains affichent un dégoût pour les “trucs de filles”, d’autres (progressis­tes) aiment le rose. Mais à cet âge-là se dresse surtout un mur d’incompréhe­nsion

- Par ALICE MARUANI (1) Twerker : danser de manière provocante avec des mouvements de hanche.

Disons le tout net, ce que les garçons prépubères pensent des filles est un continent noir. Déjà parce que les jeunes garçons (entre 9 et 11 ans) sont généraleme­nt moins loquaces que leurs camarades féminines. Aussi parce que le sujet les gêne, visiblemen­t. On se tortille, on soupire, on lève les yeux au ciel, on cherche à s’enfuir pour retourner jouer : parler de l’autre sexe, à cet âge-là, c’est un « truc de filles », justement.

Et puis, comment connaître celles qu’on ne côtoie pas ? Au début de la maternelle, garçons et filles arrêtent de jouer ensemble. Et jusqu’au milieu du collège à peu près, ils sont « ensemble, mais séparés », comme l’explique Martine Court, sociologue spécialist­e des enfants. Les garçons qui se lient d’amitié avec des filles sont soupçonnés d’être « amoureux ».

Laszlo, 9 ans, est parfois la cible de moqueries. Depuis la maternelle, il a toujours eu des amies filles à l’école. « Il fait la connexion dans sa classe », explique sa mère, féministe revendiqué­e. Avec Vanessa, Théa et Olivia, il joue au handball, fait de l’escalade. Il ne comprend pas pourquoi les autres garçons, qu’il trouve « bagarreurs et bruyants », ne le font pas. « On me dit parfois “T’es amoureux”, ça m’énerve, mais je ne leur réponds pas. »

Laszlo porte une bague et, de temps en temps, il demande à sa mère de lui mettre du vernis à la maison (mais le retire en sortant). De l’autre côté du spectre, des jeunes garçons trouvent que les filles sont « chiantes », comme Florent, en CM1 dans le 11e arrondisse­ment de Paris, qui assume de leur « tirer les cheveux ».

Et au milieu de tout ça, on trouve une grande masse de garçons qui ont adopté un discours politiquem­ent correct, entendu à l’école ou à la maison. Comme Martin, 11 ans, à l’école à Fontenay-sous-Bois : « Les filles ont souvent les cheveux plus longs, mais elles sont aussi fortes que les garçons. » Il ajoute, doctement : « Nous sommes égaux. » Lui n’a pas d’amie fille dans sa classe, mais il fréquente Clara, la fille d’un ami de son père. « On joue au ping-pong. Pour une fois que je trouve une fille qui sait jouer ! », lance-t-il, sous les protestati­ons de sa petite soeur de 7 ans : « Moi aussi, je joue… » Quand on demande à Rayan, 11 ans, la différence filles-garçons, il répond avec la même assurance bienveilla­nte : « Aucune di érence, par exemple j’aime le rose, la danse et le foot. »

Mais derrière ces beaux discours, il en faut peu pour se faire traiter de « fille » ou de « tapette ». Jonas, 11 ans, en sixième à Paris, s’est déjà pris ces mots dans la figure après avoir refusé de se battre. Il trouve ça « ridicule de penser ça, même si j’ai parfois l’impression de le penser aussi ». Touchant avec ses conflits intérieurs, il ajoute : « Je me sens un peu sexiste, je pense parfois que c’est le rôle des femmes de faire à manger, le ménage. Mais après, quand j’y réfléchis, je trouve que c’est faux. » A cet âge-là, le sport dresse un vrai mur de séparation entre garçons et filles. Même si les garçons assurent ne pas être choqués par une fille qui joue au foot, ils n’en connaissen­t pas beaucoup. La plupart d’entre elles restent sur le bord du terrain, à discuter. « Les garçons font du sport, et les filles, elles font des histoires, c’est leur sport », explique Lynden, 11 ans, en sixième, crânement posé sur son VTT.

Lui a eu une petite amie quand il avait 9 ans et il assume d’avoir été « amoureux d’elle ». « Mais ses copines lui racontaien­t tout le temps des mensonges sur moi, et elle pleurait tout le temps. » Ce qui le marque le plus, à son âge, c’est la violence des filles entre elles. « Elles s’insultent tout le temps. L’autre jour, une fille disait à son amie : “Quand tu montes sur une balance, tu vois ta date de naissance.” Et le lendemain, elles sont meilleures amies. »

Autre source d’étonnement pour Lynden : la nécessité pour les filles de paraître respectabl­es. « Si on demande : “Est-ce que tu twerkes (1) pour 4 millions d’euros ?”, les filles disent non, parce qu’elles ont une fierté, à cause des clichés. Les garçons disent oui. »

Bref, être une fille, pour lui, ça a surtout pas l’air très marrant. « Elles accouchent, elles ont leurs règles, elles sou rent plus. Je préfère être un garçon. Mais j’imagine que les filles préfèrent aussi être des filles, non ? »

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