L'Obs

10 choses à savoir sur… Eric Vuillard

En couronnant “l’Ordre du jour”, qui raconte l’annexion de l’Autriche par Hitler, le prix Goncourt a choisi un lauréat discret, inattendu, mais excellent

- GRÉGOIRE LEMÉNAGER ET ELISABETH PHILIPPE

1 SOIXANTE HUITARD

Le petit Eric Vuillard n’a que quelques jours quand sa mère le porte sur le balcon pour lui montrer son père sur les barricades. C’était à Lyon en Mai-68 (il est né le 4 mai). Une scène originelle qui a sans doute forgé sa conscience politique et nourri son goût pour les scènes de foules révolution­naires, très présentes dans « 14 juillet » (2016). Un récit qui raconte la prise de la Bastille, et rend leurs noms aux inconnus qui participèr­ent à l’événement.

2 GONCOURT

Malgré l’indéfectib­le soutien de Patrick Rambaud au sein de l’Académie Goncourt, Eric Vuillard cumulait les handicaps cette année : « l’Ordre du jour », où il raconte l’annexion de l’Autriche par Hitler en 1938, est sorti en mai; le livre, qui restitue des faits réels, n’est pas exactement un roman; et des libraires se seraient même inquiétés de voir récompensé un livre qui ne coûte « que » 16 euros.

3 PESTIFÉRÉ

Parmi les lectures qui l’ont marqué, l’écrivain aime citer « Histoire de la colonne infâme », de l’Italien Alessandro Manzoni. Publié en 1827, ce livre relate l’épidémie de peste qui ravagea Milan en 1630 et le procès fait à quelques citoyens soupçonnés d’avoir propagé la maladie. Le texte mêle récit et discours critique, exactement comme ceux de Vuillard.

4 BOHÈME

Comme Rimbaud, le jeune Vuillard s’en est allé, les poings dans ses « poches crevées ». Se sentant à l’étroit à l’école (qu’il a fréquentée de façon irrégulièr­e), il préfère parcourir les routes de France et d’Espagne. Il a alors 17 ans, mais il est très sérieux puisqu’en chemin, il lit les oeuvres complètes de François Villon et compose lui-même quelques vers.

5 DÉBUTS

Longtemps, Vuillard a écrit loin des projecteur­s : après deux coups d’essai discrets, « le Chasseur » (1999) et « Bois vert » (2002), il se lance dans une volumineus­e épopée : celle de Pizarre avec « Conquistad­ors » (2009). Le pavé n’a pas un grand succès. Il trouve enfin sa formule avec « la Bataille d’Occident » (2012), qui raconte la journée la plus meurtrière de la Première Guerre mondiale (22 août 1914, 27 000 morts, tout de même) : des récits brefs, sans fiction, qui révèlent un remarquabl­e sens du montage et du détail.

6 CAPITAL

On décèle chez ce Rennais d’adoption une lecture marxiste de l’Histoire, corrosive pour ceux qui accumulent richesses et pouvoir. « L’Ordre du jour » s’ouvre sur le moment où les plus puissants industriel­s allemands, dont les sociétés existent encore aujourd’hui, ont pactisé avec Hitler. Et « Congo » (2012) reconstitu­e, par le menu, la conférence de Berlin de 1884, où d’élégants diplomates européens se partagèren­t l’Afrique comme un gâteau.

7 BUFFALO BILL

Dans « Tristesse de la terre » (2014), l’auteur déconstrui­t le mythe du Wild West Show et la légende dorée des pionniers, rappelant que l’Amérique est née sur le génocide des Indiens. Cet anti-western, qui prend pour cible Buffalo Bill, cow-boy de pacotille, éreinte la société du spectacle. Il y avait quelque chose d’ironique à écouter Vuillard en parler sur le plateau de Laurent Ruquier, face à Kev Adams…

8 CINÉMA

Deux ans après avoir, en 2006, réalisé un court-métrage de dix minutes, « l’Homme qui marche », ce fan de Dreyer récidive en adaptant une nouvelle de Prosper Mérimée : c’est « Mateo Falcone », qu’il arrache au folklore corse en tournant sur un plateau des Causses. Un film presque muet, économique, hyperstyli­sé, qui n’est sorti qu’en 2014.

9 ACTES SUD

Sur Twitter, la ministre de la Culture a félicité le lauréat du Goncourt « avec une émotion particuliè­re », avant de passer l’embrasser chez Drouant : Eric Vuillard est publié chez Actes Sud, la maison que dirigeait Françoise Nyssen jusqu’au printemps dernier. Ce détail risquait d’attirer sur le jury des accusation­s d’opportunis­me, il a bien fait de s’en moquer.

10 CHANTIER

L’écrivain vient de publier dans la revue « America » un texte sur John Jacob Astor, premier millionnai­re des Etats-Unis, qui a bâti sa fortune sur des mensonges et des vies ruinées. « On ne passe pas de riche à “billionair­e” sans commettre une sorte de crime », écrit Vuillard. Un sujet qu’il avait déjà abordé dans les « Cahiers d’études lévinassie­nnes » en 2015, avec cette mention : « Ce texte est extrait d’un récit en cours. »

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