Le dessin de Wiaz
Au sujet du procès d’Abdelkader Merah, l’avocat Alain Jakubowicz amorçait la semaine dernière dans « le Monde » une réflexion qui mérite d’être développée. Il écrivait que « ce n’est pas à la justice de régler le terrible sujet du terrorisme islamique qui frappe notre société. Quelle que soit la peine qui sera in fine infligée à Abdelkader Merah, le problème demeurera entier si on ne s’attaque pas aux racines du mal ». Les « racines du mal », exactement l’expression que j’avais employée dans ma « Lettre ouverte au monde musulman » pour l’appeler à passer d’urgence – face au dogmatisme et au radicalisme qui le gangrènent – du réflexe de l’autodéfense à la responsabilité de l’autocritique. La racine du mal terroriste, c’est l’état général d’une civilisation et d’une culture dans lesquelles une religion pourtant malade de son immobilisme, de son intolérance, de son machisme, veut faire la loi du sommet de l’Etat jusqu’à la morale personnelle en passant par l’ordre social. Aux musulmans qui me disent « on ne nous aime pas », et j’en entends souvent, je réponds qu’à un moment il faut peut-être arrêter de donner le bâton pour se faire battre et que le respect se gagne par une exemplarité. Or, aujourd’hui, qu’est-ce que la civilisation islamique a d’exemplaire ? Ses lieux saints sont gardés par une Arabie saoudite qui incarne le pire de l’islam – son wahhabisme totalement rétrograde – et le pire de la modernité – l’argent roi comme seule vraie religion. Le ver est au coeur du fruit. Les universités de sciences humaines et sociales du monde musulman, où devraient se fabriquer une culture de l’esprit critique et avoir lieu une authentique rencontre au sommet entre vie de l’esprit et vie spirituelle, sont réduites au presque silence par une religion qui n’admet pas qu’on franchisse la ligne rouge de ses dogmes sacrés. Lisez à cet égard un édifiant entretien, disponible sur internet, sur la situation de l’université au Maroc. Il a été accordé à Médias24 par Driss Khrouz, ancien directeur de la bibliothèque royale de Rabat et éminente figure universitaire marocaine. Parlant des cursus universitaires de son pays, il écrit : « Nous avons supprimé la philosophie, l’épistémologie et toutes les matières qui nourrissent l’esprit critique, pour tout ramener à l’islam […]. » Me dira-t-on qu’on s’éloigne du procès Merah? Non, parce que c’est bien du côté d’un vice dans l’éducation qu’il faut aller chercher les racines du mal.
Quand un enfant a grandi dans une famille et un milieu social où on lui a inculqué dès le plus jeune âge la conviction que « l’islam est la vérité », que « les cinq piliers de l’islam sont obligatoires pour tout musulman », que « le Coran est la parole indiscutable de Dieu », on a soustrait à sa liberté de conscience et à son esprit critique l’examen des fondements les plus essentiels de son existence. A partir de là, certes, ce n’est qu’une minorité qui se radicalise dans l’intégrisme (le respect intégral de la tradition, sans aucune concession), et une très infime minorité qui se radicalise encore plus dans le terrorisme. Mais, de façon infiniment plus large, c’est bien à cause d’une éducation religieuse bornée que tant de musulmans ont à faire un chemin personnel extrêmement difficile vers leur propre liberté. Ils doivent en effet lutter contre ce qui s’est incrusté en eux depuis l’enfance, et c’est ce qu’il est encore trop souvent tabou de discuter en Islam.