L'Obs

Maroc Mohammed VI, ses amours, ses emmerdes…

Divorce, vacance du pouvoir, santé… Mohammed VI est au centre de rumeurs et de critiques déstabilis­atrices. Entre politique du silence, dissimulat­ion et manipulati­on, le palais brouille les cartes

- Par CÉLINE LUSSATO

L’annonce a eu l’e et d’un coup de tonnerre dans le ciel bleu azur de la monarchie marocaine. C’est la presse espagnole, toujours au fait des coulisses du royaume chérifien, qui a révélé la nouvelle le jour du 16e anniversai­re du mariage royal : Mohammed VI et Lalla Salma auraient divorcé. Exit les titres enamourés consacrés aux noces de saphir du couple royal, la séparation fait la une du site du magazine « Hola ! ».

Mais d’où vient cette informatio­n ? Est-ce une simple rumeur ? Une manipulati­on ? Le palais a-t-il quelque chose à voir avec la révélation? Au Maroc, on s’interroge, on s’insurge de voir une informatio­n aussi importante révélée à l’étranger plutôt que dans la presse nationale où pas une ligne n’a été écrite sur la disparitio­n de la princesse, qui n’est pas apparue publiqueme­nt depuis début décembre.

Du côté du cabinet royal, gardien des traditions de la monarchie et seul habilité à commenter l’actualité personnell­e du

clan alaouite, aucune réaction officielle ne sera rendue publique. Les communican­ts du Makhzen (le palais) ont d’autres cordes à leur arc pour distiller leur discours.

Entre ses absences, sa vie privée et sa santé, Mohammed VI est au centre de très nombreuses rumeurs déstabilis­atrices pour le pays, dont il reste le seul maître à bord. Depuis des années, la communicat­ion de Sa Majesté est devenue la clé de voûte de la bonne marche du pays.

Lorsque le magazine espagnol sort son scoop le 21 mars, le roi est en convalesce­nce à Paris après une opération du coeur présentée comme bénigne par ses médecins. La Maghreb Arabe Presse (MAP), l’agence de presse marocaine, a publié le 26 février une photo du souverain, alité, chaleureus­ement entouré des siens. A ses côtés en effet, de part et d’autre du lit d’hôpital, son frère, ses soeurs et ses enfants. Immédiatem­ent, l’absence de Lalla Salma sur le cliché saute aux yeux de tous et les réseaux sociaux bruissent en conjecture­s sur le devenir de l’épouse du roi. Certains évitent savamment le sujet, comme le communican­t Noureddine Ayouch, qui, interrogé par H24info, dresse un tableau idyllique de l’image dans laquelle il décèle un « signe de transparen­ce », voire « une avancée démocratiq­ue ».

La photo lance pourtant l’offensive d’une campagne « anti-Salma » : un obscur site internet inconnu du grand public mais identifié par les journalist­es comme « proche des services » publie une virulente offensive contre la princesse, jusque-là portée aux nues dans les articles autorisés des médias nationaux. « Le Crapouillo­t marocain » – référence évocatrice – n’hésite pas à relayer les pires accusation­s contre Lalla Salma. Des attaques ad personam qui auraient habituelle­ment déclenché l’ire des services de Sa Majesté.

Pour bien moins que cela, l’hebdomadai­re arabophone « Al-Jarida al-Oukhra », aujourd’hui disparu, l’avait appris à ses dépens en 2005. Parce qu’il avait publié un reportage non autorisé dévoilant quelques aspects aussi futiles qu’inoffensif­s de la vie privée de la princesse, tels que son plat préféré, le tajine aux carottes, le journal avait reçu une lettre lourde de menaces de la maison royale. La semaine dernière encore, le magazine « Jeune Afrique » se voyait contraint de publier un rectificat­if pour avoir indiqué que le roi connaissai­t le judoka Teddy Riner depuis mai dernier et non depuis « près de quatre ans », comme il l’avait écrit.

L’absence de réaction du palais à l’annonce du divorce est donc interprété­e par les observateu­rs de la vie politique du royaume comme un blanc-seing, voire une opération téléguidée. Pour Ali Amar, directeur du Desk, site d’informatio­n indépendan­t marocain, cela ne fait pas de doute : « Le fait qu’un “média” local, fusse-t-il aussi insignifia­nt, publie de tels propos ne peut manifestem­ent être le fait d’une initiative isolée », écrit-il dans ses pages. D’autant qu’au même moment des mails contre l’épouse du roi inondent les messagerie­s des journalist­es et autres influenceu­rs. Un peu gros.

Le palais ne cache pas – et pourquoi le devrait-il? – avoir à sa dispositio­n des personnes en charge de sa communicat­ion. Si le cabinet royal recèle encore une part de mystère, son organigram­me a gagné en lisibilité ces dernières années. Depuis 2011 et le « printemps arabe », le Maroc s’est doté d’une nouvelle Constituti­on, mais a également renforcé le cercle de ses « conseiller­s », portant le nombre de ses membres à quatorze et constituan­t de la sorte un gouverneme­nt parallèle. Parmi eux, l’homme de la com, Karim Bouzida. C’est à ce proche de Fouad Ali El Himma, lui-même labellisé « conseiller le plus influent » de Mohammed VI, que l’on doit la stratégie de communicat­ion du roi, glisse-t-on dans les milieux autorisés. « Les selfies pris dans le monde entier ? C’est lui », nous dit-on. Mais pas seulement.

Car si le Makhzen soustrait la famille royale aux regards indiscrets derrière les moucharabi­ehs de ses palais, il peint avec habileté un décor « Potemkine » de toute beauté sur les murs, abreuvant ses sujets à la curiosité insatiable de fables idylliques. Aujourd’hui invisible, Lalla Salma est longtemps apparue comme une pièce maîtresse de cette communicat­ion glamour. La jolie rousse de la petite classe moyenne de Fès endosse en 2002 avec la fonction royale un rôle d’épouse modèle, élevant avec amour ses deux enfants et se consacrant avec efficacité à la lutte contre le cancer. Elle est alors le symbole de la modernité du jeune roi, qui, pour la première fois, permet une existence publique à une épouse de monarque marocain. Une révolution ! Salma Bennani est la première roturière à obtenir le titre de « Lalla », princesse, jusqu’alors réservé aux filles de sang royal ; la première à assumer des fonctions de représenta­tion, parfois même sans son époux. Une modernité appréciée du grand public marocain, mais également des partenaire­s occidentau­x de sa majesté, et qui s’inscrit dans une démarche plus large de Mohammed VI d’ouverture envers les droits des femmes.

Car la communicat­ion du palais est cruciale. Elle maintient à bout de bras un régime contesté à bas bruit et un monarque accusé de ne pas se consacrer pleine-

ment à sa tâche. Il suffit d’écouter les traits d’humour qui s’échangent dans les cafés ou les réseaux sociaux : « Sa Majesté a atterri cette nuit. Avant de descendre de l’avion, il a lancé au pilote “laisse tourner les moteurs”. » Ou encore. « On lit ce communiqué officiel du peuple marocain : “Nous demandons à Sa Majesté une visite officielle au Maroc.” » En 2013 déjà, le magazine « Tel Quel » consacrait l’une de ses couverture­s au « roi de Betz », du nom de la localité de l’Oise où le souverain possède un château dans lequel il aime séjourner. Plus récemment, le journalist­e espagnol Ignacio Cembrero, qui suit l’actualité marocaine pour le quotidien « El Mundo », s’est attelé à un décompte du temps passé par le roi en dehors du Maroc. Verdict : entre le 1er avril et le 30 septembre 2017, le roi a passé 45% de son temps en dehors du pays. Depuis, la proportion a encore augmenté, le souverain ayant passé les premiers mois de l’année presque intégralem­ent à Paris.

« Le roi? Il est très souvent dans le quartier, c’est d’ailleurs un homme charmant, tout à fait plaisant. » Les commerçant­s du quartier juif du Marais à Paris verraient-ils davantage Mohammed VI que ceux de Rabat ou Marrakech ? Ils confient en tout cas très librement leurs échanges courtois avec Sa Majesté, parfois immortalis­és par des photos postées sur Facebook.

Une communicat­ion officieuse via ces réseaux sociaux, qui diffuse d’ailleurs un message tout à fait politique. Durant les quelques semaines passées dans la capitale française en ce début d’année, Mohammed VI a su mettre à profit sa rencontre fortuite avec un juif orthodoxe du Marais, ses pauses devant l’objectif avec des résidents marocains ou encore ses bonnes relations avec des personnali­tés : le rappeur Maître Gims, des dirigeants étrangers comme le Premier ministre libanais, Saad Hariri, ou encore le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed Ben Salmane. Entre deux séances de shopping, le souverain peaufine son image, celle du Commandeur des croyants ouvert sur les autres religions, d’un homme tout à la fois simple, branché, moderne et qui veille aux affaires extérieure­s du royaume.

Mais qu’en est-il de la politique intérieure ? C’est là que le bât blesse. « Nous ne sommes pas dans le cadre d’un régime institutio­nnalisé mais dans un pays autoritair­e où le pouvoir est absolu, incarné par la présence du roi, explique le journalist­e et universita­ire Omar Brouksy. Les longues absences du roi posent donc de nombreux problèmes. » En effet, si le Premier ministre tient chaque jeudi une réunion du conseil de gouverneme­nt, celui-ci n’a en réalité que peu de pouvoir. Seul le conseil des ministres, présidé par Sa Majesté, peut entériner les projets de loi, procéder aux nomination­s de ministres, ambassadeu­rs, directeurs d’établissem­ents publics, prendre les décisions stratégiqu­es pour le pays. Or, l’année dernière, seules trois réunions ont pu être tenues, entraînant un retard dommageabl­e de plusieurs mois dans le remplaceme­nt de ministres et l’arrivée au Parlement de projets de loi. Et l’on se questionne : qui gouverne réellement ?

« Quand l’incarnatio­n du pouvoir est absente, le vide est rempli par deux personnes. Deux hommes qui n’ont aucune légitimité démocratiq­ue, ne sont élus par personne et qui pourtant dirigent véritablem­ent. L’homme fort du cabinet royal, Fouad Ali El Himma, et Abdellatif Hammouchi, le patron de la police et de la DST », explique Omar Brouksy, l’auteur de « la République de Sa Majesté ». Le premier, qui n’est officielle­ment que membre du cabinet royal, est l’homme de confiance du roi. « C’est lui qui dirige véritablem­ent le pays, estime le journalist­e. De son côté, Hammouchi a vu son influence grandir récemment, lorsqu’il a été chargé de gérer par la voie sécuritair­e la colère sociale dans le Rif et à Jerada. »

Car le royaume ne coule pas de paisibles jours heureux. La grogne monte. La population réclame réformes structurel­les, investisse­ments et développem­ents. Autant de grandes décisions qui ont besoin d’une direction. Le roi se désintéres­se-t-il de ses sujets? Pourquoi passe-t-il tant de temps à l’étranger ? On le dit malade, suivi à Paris. Un secret de Polichinel­le évoqué jusqu’en commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale par Jean Glavany en 2017. Mais surtout un sujet sensible : le député socialiste avait dû revenir sur ses propos publiqueme­nt à la demande des avocats du palais. On dit le roi las, déprimé dans son pays… Faudra-t-il attendre les informatio­ns non démenties de feuilles de choux pour comprendre ce qui se passe à la tête de l’Etat marocain? C’est la gouvernanc­e du pays qui inquiète les sujets de Mohammed VI. Plus que ses affaires de coeur ou ses états d’âme. Malgré nos demandes de réactions ou de commentair­es, le palais n’a pas donné suite.

 ??  ?? La famille royale au chevet de Mohammed VI, à Neuilly-sur-Seine, le 26 février. L’absence de son épouse, la princesse Lalla Salma, enflamme alors les réseaux sociaux.
La famille royale au chevet de Mohammed VI, à Neuilly-sur-Seine, le 26 février. L’absence de son épouse, la princesse Lalla Salma, enflamme alors les réseaux sociaux.
 ??  ?? Abdellatif Hammouchi et Fouad Ali El Himma, les hommes forts du cabinet royal.
Abdellatif Hammouchi et Fouad Ali El Himma, les hommes forts du cabinet royal.
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 ??  ?? En 2002, le mariage royal. Le 21 mars dernier, la presse espagnole affirme que le couple a divorcé.
En 2002, le mariage royal. Le 21 mars dernier, la presse espagnole affirme que le couple a divorcé.
 ??  ?? Le Premier ministre libanais Saad Hariri, Mohammed VI et le prince saoudien Mohammed Ben Salmane à Paris. Un selfie tweeté le 9 avril.
Le Premier ministre libanais Saad Hariri, Mohammed VI et le prince saoudien Mohammed Ben Salmane à Paris. Un selfie tweeté le 9 avril.
 ??  ?? A Paris, le roi soigne son image. Ici avec Maître Gims et Jamel Debbouze, le 27 mars.
A Paris, le roi soigne son image. Ici avec Maître Gims et Jamel Debbouze, le 27 mars.

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