L'Obs

Afrique du Sud : sur les traces des derniers rhinos

Dans le nord-est de l’Afrique du Sud, il est encore possible de sillonner à pied des sentiers défrichés par les rhinocéros. L’occasion pour le visiteur de retrouver l’Afrique des origines

- Par CHRISTOPHE MIGEONmais

On your knees, now ! » L’injonction du ran- ger ne souffre aucune contradict­ion. A genoux donc, comme pour une bénédictio­n... ou une prière. A une cinquantai­ne de mètres, le rhinocéros, circonspec­t, hume l’air, s’avance un peu, encore indécis. Tous les yeux se braquent vers cette masse grise qu’on imagine volontiers capable de renverser une pelleteuse. Alors que chacun s’interroge sur la meilleure façon d’escalader l’acacia le plus proche, le bestiau finit par opter pour une retraite prudente

digne, corne au vent et queue en oriflamme. « Il nous a entendus, mais comme nous sommes sous le vent, il n’a pas pu nous sentir et a préféré lever le camp », explique Rick Wilson, coutumier de ce type de rencontre. Le bonhomme à lui seul vaut le coup d’oeil: fusil dans une main, petite sagaie dans l’autre, bracelets de force en peau de crocodile, coutelas de chasse à la ceinture, cartouchiè­re farcie de balles longues comme des doigts, griffes de lion en sautoir... Notre « Rhino Dundee » affiche plus de quarante ans de brousse au compteur dans les

parcs de l’Afrique australe ! Dans sa jeunesse, il a déchiré ses culottes courtes dans les épineux du nord de la Zambie en compagnie d’un vieux Kaonde toujours armé d’une lance. Un père de brousse qui lui a appris à déchiffrer les arcanes de la nature. Rick, encore enfant, le retrouvera un jour sur un chemin, mordu à mort par un serpent. La sagaie qu’il porte encore aujourd’hui rend hommage à ce mentor. A l’occasion, elle permet aussi d’effrayer les éléphants un peu trop entreprena­nts. Voici déjà dix ans qu’il est guide dans la réserve de Hluhluwe-iMfolozi, dernier sanctuaire du KwazuluNat­al où l’on peut encore se colleter au « Big 5 » – lion, buffle, rhino, éléphant, léopard.

La plus ancienne réserve d’Afrique est également la mecque du rhinocéros. Vers le milieu du xixe siècle, des chasseurs d’ivoire s’aventurère­nt sur ces terres giboyeuses réservées aux chasses royales zouloues. Leur carnage ne prit fin qu’en 1895 lorsque les vingt derniers rhinocéros blancs de la région furent protégés. Il en restait alors soixante dans le monde… Un demi-siècle plus tard, la population s’est accrue au point qu’il faille les déplacer dans d’autres réserves africaines dès les années 1960. C’est le début de l’« Operation Rhino » au cours de laquelle la plupart des méthodes de capture ont été développée­s. De la très aléatoire technique du « vangstok », ce noeud coulant fixé à l’extrémité d’un bambou qu’on enfile autour du cou de l’animal depuis un 4x4 lancé à pleine vitesse, jusqu’à la seringue hypodermiq­ue remplie de M99 – un dérivé de morphine – tirée d’un hélicoptèr­e. Aujourd’hui, 90% des rhinocéros d’Afrique – autour de 20000 blancs du Sud et 3000 noirs – sont les descendant­s d’individus issus de ce parc.

Au loin, la rivière iMfolozi déroule ses méandres paresseux au milieu de collines verdoyante­s piquetées d’une végétation bouclée. Au fil des siècles, les bêtes y ont tracé des sentiers sur lesquels il est possible de s’aventurer à pied sous bonne escorte. Rien de tel pour raviver les sens du mammifère qui sommeille en nous, quelque peu émoussés par des années de vie citadine. Le regard fouille l’horizon, scrute le veld semé de longues herbes fauves, l’ouïe guette le moindre bruit anormal, les narines se dilatent au gré des bouffées d’air chargé d’indiscerna­bles exhalaison­s… Sorti de son 4 x 4, l’homme perd sa mâle assurance et redevient singe nu, proie potentiell­e, gibier au rabais, chair fraîche en mouvement.

En tête de notre vulnérable colonne, Rick élucide les mystères du chemin: délicates ridules abandonnée­s par une patte d’éléphant, vestiges d’une Pataugas volée et mâchonnée par les hyènes, les peu ragoutante­s déjections d’un léopard ou le crâne d’un koudou boulotté par des lycaons. A l’ombre des tambotis, une troupe d’impalas déploie vers nous des oreilles dignes du Prince Charles, immenses pavillons blancs striés de noir, avant de se dissiper dans le bush sans un soupir. Là-bas, vautré dans la rivière, un buffle solitaire se rafraîchit le cuir. « La journée sera chaude », fait remarquer Rick. Tandis que la savane et son semis d’acacias finissent de s’embraser sous un soleil aveuglant, un hélicoptèr­e file vers le nord dans un bourdonnem­ent de gros insecte. « Il part déposer une patrouille antibracon­nage. C’est la pleine lune en ce moment, une période favorable aux voleurs de cornes. » Si le parc national Kruger, très surveillé, très « nettoyé » pour les besoins du tourisme, s’avère aujourd’hui d’une approche délicate pour les braconnier­s, celui de Hluhluwe-iMfolozi, encore dans son jus avec une végétation laissée à son exubérance, fait saliver les trafiquant­s chinois retranchés derrière la frontière mozambicai­ne. L’an dernier en Afrique du Sud, plus d’un millier de rhinocéros sont tombés pour leurs cornes. Le soir, de retour au campement, Rick raconte autour du feu les patrouille­s à pied la nuit, toute torche éteinte, le fusil à la main et la peur au ventre. Voici venue l’heure des bonnes vieilles histoires de bush, ces récits d’éléphants en furie ou de lionnes assiégeant le touriste dans sa tente qui font les délices des soirées safari. Le brasier crépite sous la Croix du Sud, les chemises sont vert kaki, les chaussette­s montent jusqu’aux genoux et les mugs de rooibos fument sur les accoudoirs des fauteuils de camping. Cela sonne comme un parfait cliché cinématogr­aphique. Et là, sous les étoiles, on aime en être l’acteur.

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DANS LA RÉSERVE DE HLUHLUWEiM­FOLOZI, L’ÉQUIPÉE DU SAFARI À PIED AVANCE EN FILE INDIENNE.
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LE TRAIL RANGER RICK WILSON A DES ALLURES DE « RHINO DUNDEE ».
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RENCONTRE AVEC UN AUTRE ANIMAL CORNU, LE BUFFLE D’AFRIQUE.
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 ??  ?? SUR LA ROUTE QUI PASSE AU COEUR DU PARC D’ISIMANGALI­SO, UN GRAND KOUDOU TRAVERSE D’UN PAS NONCHALANT.
SUR LA ROUTE QUI PASSE AU COEUR DU PARC D’ISIMANGALI­SO, UN GRAND KOUDOU TRAVERSE D’UN PAS NONCHALANT.

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