L'Obs

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- par Arnaud Sagnard

Nous nous sommes retenus, nous n’avons rien dit. Nous, c’est un groupe de copains qui sont, ou ont été, rédacteurs en chef d’une publicatio­n. Notre profession étant bavarde, elle passe, vous vous en doutez bien, son temps à commenter le travail de ses petits camarades. Phénomène très rare, en ce début d’année 2018, les verbeux étaient gênés aux entournure­s. Les sorties d’« Ebdo », aujourd’hui défunt, et de « Vraiment », qui suspend sa parution, nous avaient laissés sans voix. Nous avions bien un avis mais nous avons choisi de ne pas le formuler sur les réseaux sociaux ni dans nos articles. Parce que créer un magazine est l’une des choses les plus di ciles qui soient – croyez-moi, j’ai participé à quatre lancements de journaux, un seul est encore debout. Parce que le maintenir en vie l’est beaucoup plus encore. Parce qu’il faut lui laisser le temps de s’adapter. Enfin, parce qu’il nous arrive de nous tromper. Et pourtant, dès leur premier numéro, il paraissait évident que ces titres ne survivraie­nt pas. Loin de nous faire plaisir, cette nouvelle nous a accablés. Comment le savions-nous ? Parce que la presse est une discipline où l’intuition prend une grande part. Mieux, celle-ci tient quasiment de l’alchimie. Chaque publicatio­n s’apparente à une équation complexe qui, à tout moment, peut échouer en fonction de l’équilibre de di érents éléments. C’est d’autant plus cruel que celui-ci apparaît dès le premier numéro. La modernité de la maquette, l’harmonie entre jeunes et vieux reporters, la faculté à dénicher des sujets non lus ailleurs, le plaisir de lecture procuré, le sens du « coup »… Autant d’ingrédient­s invisibles dans un business plan. Or, ces deux publicatio­ns, on a eu immédiatem­ent l’impression de les avoir déjà lues. Elles n’épousaient pas l’époque ni les envies des lecteurs mais plutôt celles des journalist­es. « Un magazine tel qu’on le fait en sortie d’école de journalism­e », ai-je entendu. Propre, pédagogiqu­e, plein de bonnes intentions. Il faut croire que les alchimiste­s ont encore les mains sales. d’exercer le métier que j’ai toujours voulu faire. Je ne l’ai jamais fantasmé. Je voulais raconter des histoires. C’est exactement ce que je fais. Je suis à l’antenne comme je suis dans la vie. On fait un métier sérieux où on parle de choses lourdes, donc il faut aussi savoir se détendre et faire preuve d’autodérisi­on. C’est peut-être cela, ma patte. Est-il important pour vous de travailler pour le service public ? Oui, cela a beaucoup de sens. Le service public m’a façonnée. Je travaille sur une antenne où je peux dire ce que je veux. Je n’ai jamais subi aucune interventi­on éditoriale de qui que ce soit. C’est un espace de liberté énorme. Je suis donc très bien où je suis. Par ailleurs, les stations ont une couleur. Quand on allume la radio, on reconnaît tout de suite s’il s’agit de France-Inter, de RTL ou d’Europe 1 sans même entendre le jingle. On a d’ailleurs vu que les gre es ne prennent pas si facilement en cas de transferts. Que vous inspire l’arrivée de Sibyle Veil à la tête de RadioFranc­e ? L’année risque d’être di cile, on le sait. Contrairem­ent à ce qu’on peut parfois entendre, la maison n’est pas rétive au changement. Il ne s’agit pas d’un musée d’antiquités. Mais il faut, je crois, savoir tenir compte de sa culture. Comment vivez-vous la crise de confiance que traversent les médias ? On nous accuse parfois, sur Twitter, de choisir les questions du « Téléphone sonne » en fonction de la teneur que nous voudrions donner à l’émission. Nous recevons jusqu’à 700 appels par soir. Nous prenons en compte di érents critères comme l’élocution ou l’émotivité de la personne. Nous essayons de varier les points de vue, le clash ne nous intéresse pas. Et puis il faut qu’il y ait un cheminemen­t, une progressio­n. Mais si quelques-uns sont convaincus que certaines émissions sont biaisées pour servir l’agenda de je ne sais qui, on aura beau leur dire l’inverse, on ne les convaincra pas. L’éducation aux médias est, pour moi, fondamenta­le. Par ailleurs, je me fais autant épingler par les « insoumis » qui nous reprochent d’être macroniste­s que par des macroniste­s qui nous qualifient de radio gaucho… Il y a une confusion. Beaucoup projettent leur détestatio­n de trois éditoriali­stes parisiens sur le journalism­e dans son ensemble. Que Jean-Michel Aphatie ou Bernard Guetta se fassent épingler, c’est normal, c’est leur job de défendre une opinion. A côté de cela, il y a des journalist­es qui travaillen­t dans l’ombre, sans donner de leçon à personne, pour révéler des scandales financiers ou d’évasion fiscale. Ce journalism­e, qui réclame du temps et de l’argent, a besoin d’être défendu. Si, en plus, des hommes politiques de premier plan disent ne pas pouvoir faire confiance aux journalist­es, alors… La matinale de France-Inter, vous y pensez ? Ce n’est pas du tout le même exercice que sur France-Info… Et puis il faut vraiment aimer l’interview politique. Or, moi, je le répète, je suis plutôt faite pour comprendre comment fonctionne le monde et raconter des histoires…

“IL Y A DES JOURNALIST­ES QUI TRAVAILLEN­T DANS L’OMBRE, SANS DONNER DE LEÇON. CE JOURNALISM­E, QUI RÉCLAME DU TEMPS ET DE L’ARGENT, A BESOIN D’ÊTRE DÉFENDU.”

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