L'Obs

Big bug entre TF1 et BFM

Un raté lors de la diffusion des images de l’enterremen­t de Johnny Hallyday a jeté un froid entre les deux chaînes. Un incident qui cache d’autres enjeux

- Par VÉRONIQUE GROUSSARD

Samedi 9 décembre, obsèques de Johnny Hallyday. BFMTV diffuse son édition spéciale quand, soudain, à 9h30, ses dirigeants s’étranglent. Alors que leurs journalist­es meublent comme ils peuvent, la concurrent­e, LCI, diffuse des images spectacula­ires ! Juchées sur une grue, les caméras balayent la place de la Concorde et la perspectiv­e des Champs-Elysées où se presse une foule fervente. Comme si LCI avait un accès privilégié aux plans tournés par sa maison mère TF1, chargée par l’Elysée et la famille d’assurer la captation pour toutes les autres chaînes. C’est la règle dans ces événements exceptionn­els qui exigent d’énormes moyens. Cinq mois plus tard, le froid polaire entre BFMTV et TF1 ne s’est pas dissipé. Jusqu’ici confidenti­elle, l’affaire est désormais entre les mains des avocats.

Tout a été organisé dans l’urgence. Sonoriser et éclairer la Madeleine relevait du cassetête. Macron devait y prononcer son discours puis, au nom de la séparation des Eglises et de l’Etat, s’est ravisé. Il a fallu revoir le dispositif, à l’extérieur. La veille de la cérémonie, les télés ont toutes reçu tardivemen­t « la note de pool » détaillant la couverture prévue (Champs-Elysées, Concorde, Madeleine), l’heure de début (10h40), le coût (56 000 euros). Avis aux chaînes intéressée­s qui – c’est l’esprit – sont toutes sur la même ligne de départ. Théoriquem­ent.

Alors, voir LCI servie avant l’heure… Dire que les esprits s’échauffent à BFMTV tient du doux euphémisme. On y multiplie les captations d’écrans pour avoir des preuves. Hervé Béroud, le patron, appelle Thierry Thuillier, directeur de l’info du groupe TF1, le somme de s’expliquer sur ce qui est ressenti comme un coup fourré et, surtout, de partager dare-dare la retransmis­sion. Ce qui n’arrivera qu’à… 10h18. Cinquante minutes dans la vue ! La parano gagne encore lorsque, plus tard, Béroud voit, à nouveau sur LCI, les people arrivant à la Madeleine. Ces images, il ne les a pas !

Procédé déloyal et intentionn­el, de la part de TF1, pour favoriser sa propre chaîne LCI et planter BFMTV ? Ou incident fortuit né de l’ambiance électrique qui règne dans toutes les régies, prises de court par un cortège très en avance sur l’horaire ? Juridiquem­ent la note de pool fait loi : TF1 n’avait aucun engagement avant 10h40. In fine, elle fournira même cinq heures de direct au lieu des trois heures quarante-cinq prévues. Combien les décalages ont-ils fait perdre de spectateur­s à BFMTV ? L’intéressée estime avoir subi un lourd préjudice et a divisé par deux sa facture : elle ne paiera pas plus de 30 000 euros ! Un « arrangemen­t » que refuse catégoriqu­ement TF1 pour deux raisons. Primo, cette captation lui a laissé – à elle et à sa coproductr­ice France 2 – une ardoise : le coût de 300 000 euros n’a été couvert que pour moitié seulement par les ventes d’images. Secundo, TF1 tente de relativise­r le dommage de BFM qui, ce jour-là, a réalisé une part de marché équivalent­e à celle de M6…

Derrière ce contentieu­x, se joue le coup d’après. Déterminé, Hervé Béroud enfonce des coins dans les prérogativ­es du duopole TF1-France 2. Ainsi, il veut intégrer le « pool des voyages officiels » aux côtés des deux autres qui se partagent les sorties du chef de l’Etat (Salon de l’Agricultur­e, Ouvéa…) et couvrent des événements comme les obsèques de Johnny. Déjà, pendant la présidenti­elle, BFMTV a doublé France 2 en organisant le débat des onze candidats ; elle a avancé ses pions pour retransmet­tre celui de l’entre-deux-tours (en vain), participer à l’interview d’Emmanuel Macron, le 14 juillet (qui n’a pas eu lieu). Et elle a décroché, avec Mediapart, l’entretien au terme de la première année présidenti­elle. Avec un statut d’égalité, le bug du 9 décembre ne serait plus possible.

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