L'Obs

Valls, le mirage barcelonai­s

L’ancien Premier ministre, candidat à la mairie de Barcelone, sa ville natale ? Il en rêve. Mais, sur place, c’est une autre histoire. Reportage

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Les noms sont parfois trompeurs. Quand il évoquait son enfance barcelonai­se, Manuel Valls précisait en riant : « Je suis né rue des Champs-d’Amour, voilà pour la légende. » C’est bien calle de Campoamor qu’il a vu le jour, au coeur du quartier d’Horta, à l’été 1962. Mais ce n’est malheureus­ement pas un champ d’amour qui attend l’ancien Premier ministre dans cette ville où il pense se présenter à l’élection municipale de mai 2019.

Pour le comprendre, il suffit de se promener dans les trois rues qui forment son ancrage familial : celle où il est né, celle où se dresse la maison natale de son père et celle où il a passé des vacances, dans la demeure familiale où vit désormais sa soeur, Giovanna. Sur les lampadaire­s trône le visage d’Oriol Junqueras, barré d’un « Free » qui rappelle que le leader indépendan­tiste est en prison. Tandis que des affiches « Liberté pour les prisonnier­s politiques » et des drapeaux catalans ornent les maisons. Ici, on est en terre indépendan­tiste, pas vraiment la position du député français.

C’est dans ce triangle, sur les hauteurs de la ville, que le jeune Manuel a passé ses Noëls et ses vacances d’été, là aussi qu’une année, son père étant malade, sa soeur et lui sont allés « quelques mois à l’école maternelle ». José Maria Matute se rappelle : « Je connais sa famille, et je l’ai connu petit. C’était un enfant normal, il ne s’intéressai­t pas à la politique. » Quand on lui demande si l’ancien Premier ministre a un vrai lien avec Barcelone, il répond immédiatem­ent : « Oui. Il est né ici, sa soeur habite dans la rue. » Sa soeur, mais pas lui.

Manuel Valls a toujours vécu en France (où son père était arrivé après la guerre d’Espagne), et a d’ailleurs choisi d’être naturalisé français à 18 ans. Et si, pour de nombreux habitants de la ville, ce non-ancrage est un problème, pour Miguel Torrecilla­s, ce sont plutôt ses idées politiques qui hérissent. Bénévole à Caliu, une associatio­n qui sert des petits déjeuners aux plus défavorisé­s dans des locaux qui jouxtent l’église Sant Juan de Horta, où a été baptisé Manuel Valls, ce quadragéna­ire est toujours lié à sa soeur. « J’apprécie la famille, mais politiquem­ent ce que fait Manuel ne me va pas. Je n’ai pas aimé qu’il vienne faire campagne ici cet hiver. En se présentant comme un Catalan, il aurait pu défendre notre culture, mais non, il est venu avec une position très radicale, nous dire qu’on ne devait pas choisir notre avenir. » Giovanna Valls, elle-même, s’était émue de ses prises de positions.

“ON NE VEUT PAS D’UN PERDANT”

Ces derniers mois, le Français a été très présent en Espagne. Il a participé à un meeting contre l’indépendan­ce à Barcelone, il s’est répandu dans les médias pour défendre avec vigueur l’appartenan­ce de la Catalogne à l’Espagne, s’est rapproché de Ciudadanos, le parti de centre droit le plus anti-indépendan­tiste, devenu la première force aux élections régionales le 21 décembre dernier. A force de venir de ce côté des Pyrénées, de voir l’accueil des médias, de s’entendre raconter les difficulté­s d’Ada Colau, qui dirige la ville sans majorité depuis que les socialiste­s lui ont fait défection, Valls s’est pris à rêver. En France, il s’ennuie. Le Catalan d’origine prendra sa décision finale cet été. Il aimerait présenter une liste de centre gauche, réfléchit à ce que pourrait être un projet « ouvert » pour la ville, cette « marque mondiale » dont il voudrait redorer le leadership économique. Il en a parlé avec son allié du parti Ciudadanos, Albert

Rivera, qui claironne partout qu’il va « travailler pour que Valls puisse être un candidat de consensus ». A la télévision suisse, le député d’Evry a confirmé qu’un Français devenant maire de la cité catalane incarnerai­t « presque mieux l’Europe que le marché unique ». Mais si Manuel Valls a bien la tentation de Barcelone, Barcelone n’a pas forcément la tentation Valls.

Eric Fornos Cabanes est un jeune avocat, faroucheme­nt indépendan­tiste. Pour lui, « Valls a perdu en France et nous, on ne veut pas d’un perdant. Il n’a jamais vécu ici, il ne connaît pas les problèmes de Barcelone. Il est déjà venu faire campagne, mais un perdant qui vient de l’étranger n’a pas à donner son avis sur mon pays ».

Dans son bureau de la mairie de Barcelone, Laia Ortiz Castellví précise d’emblée : « Je n’ai pas de bons souvenirs de son passage au gouverneme­nt. De mon point de vue de gauche, c’est un bilan décevant et il a été le plus à droite. » Adjointe aux droits sociaux d’Ada Colau, elle pense que Manuel Valls n’a pas le bon profil : « Un bon maire, c’est quelqu’un qui connaît les problèmes de la ville, qui parle avec les gens, qui porte un projet qui réponde aux besoins quotidiens des habitants, pas quelqu’un qui vient faire un show en se présentant comme le sauveur. Barcelone a besoin d’un maire courageux, qui tienne face aux grandes compagnies d’électricit­é, d’eau qui veulent privatiser les biens communs. » Si les relations de Manuel Valls avec la gauche française sont compliquée­s, elles ne sont pas plus simples en Catalogne.

“UN EXEMPLE POUR L’EUROPE”

Un peu plus haut dans la ville, au siège du Parti des socialiste­s catalans, Ferran Pedret Santos assume, lui aussi, de s’occuper en priorité des habitants. « Dans la pensée de Manuel Valls et de Ciudadanos, Barcelone n’est pas la finalité. Pour nous, Barcelone est une finalité en soi. Elle ne peut pas être un second plat. On espère un maire qui s’occupe de la ville, la mairie ne peut pas être un trophée de consolatio­n pour un perdant », décrypte le premier secrétaire des socialiste­s barcelonai­s.

La sphère politique n’est pas la seule à être sceptique. Dans l’émission de satire politique « Polonia », diffusée sur la chaîne catalane TV3, Valls est représenté en candide, éberlué de découvrir la mer à Barcelone… Un responsabl­e culturel affiche sa perplexité : « Venir ici pour Manuel Valls, c’est aller au casse-pipe. Cette idée qu’on arrive dans une ville qu’on ne connaît pas pour la diriger, c’est vraiment étrange. » Et celui qui a longtemps vécu à Paris ajoute : « Balladur, après avoir perdu la présidenti­elle, ne s’est pas dit : “Je vais devenir maire d’Izmir.” » Pour trouver un farouche partisan de cette candidatur­e, il faut se tourner vers le parti qui le soutient officielle­ment. Pour Joan Garcia, responsabl­e de l’action institutio­nnelle de Ciudadanos en Catalogne, Manuel Valls est « un homme politique avec de l’expérience, qui connaît bien la réalité catalane, espagnole et européenne. Il a un lien très étroit avec Barcelone ». Que le potentiel candidat à la mairie ne vive pas dans la ville n’est pas un problème pour le dirigeant. « Quel meilleur exemple pour le futur de l’Europe qu’un ancien Premier ministre français puisse devenir maire de Barcelone, sa ville natale? » Reste à en convaincre les habitants. Un élu barcelonai­s confie en souriant : « La vie politique catalane est devenue tellement folle que tout est possible. » Même le plus improbable.

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Avec son allié Albert Rivera, dirigeant du parti de centre droit Ciudadanos, en mars.

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