L'Obs

DÉPLASTIFI­ONS NOUS !

- Par ARNAUD GONZAGUE

“Il y aura plus de débris plastiques que de poissons dans les océans d’ici à 2050” (ONU)

Le plastique se niche partout – dans l’eau, dans nos assiettes, dans l’air que l’on respire – et menace la planète. Face à ce fléau, la prise de conscience est mondiale. Après la Grande-Bretagne, Montréal et Bruxelles, les opérations commandos Plastic Attack, qui traquent les emballages inutiles de la distributi­on, débarquent en France. Mais, au quotidien, chacun peut agir : trier ses déchets, utiliser du bioplastiq­ue… Ou carrément s’en passer. La guerre est déclarée. Il était temps !

Si, le 2 juin prochain, à partir de 9 heures du matin, vous aviez prévu d’aller faire vos courses dans un supermarch­é de Paris, tenez-vous sur vos gardes. Il est possible que vous assistiez à la naissance en France d’un tout nouveau mouvement écolo européen, ce qui n’arrive pas tous les samedis quand on quitte une grande surface, les bras lourds de victuaille­s. C’est à cette date et dans cette ville en e et que Plastic Attack France a annoncé vouloir mener sa première guérilla citoyenne – on ne connaît pas encore le nom de l’établissem­ent où elle aura lieu. « Environ 400 personnes ont promis d’y participer, se réjouit Fanny Vismara, 34 ans, coordinatr­ice informelle de ce mouvement si récent qu’il n’est même pas encore encadré par une structure associativ­e. Et nous espérons bien convaincre le plus possible de consommate­urs ordinaires de se joindre à nous. »

Mais de quoi s’agit-il au juste? De s’attaquer à ces emballages légers, propres et transparen­ts qui enrobent le commun de nos emplettes. Car le but de Plastic Attack est de pointer ce qu’ils ont si peu l’air d’être : une catastroph­e pour la planète. Et, plus rageant, une catastroph­e que l’on pourrait radicaleme­nt atténuer sans excessive di culté. C’est ce que démontrero­nt les militants de Plastic Attack, en dépouillan­t systématiq­uement les achats de leurs emballages plastifiés, lesquels seront déposés dans une grande benne. Les spectateur­s verront ainsi, e arés, le monticule de déchets grandir, grandir… « Nous apporteron­s des bocaux, des sacs réutilisab­les pour y placer tous les aliments qui peuvent parfaiteme­nt être transporté­s jusque chez nous sans plastique, explique Fanny Vismara. La plupart du temps, le plastique n’a même pas besoin d’être remplacé par quoi que ce soit. Il est juste inutile. » Impossible, après une « attack », de ne pas réaliser que nous sommes tous otages d’un matériau superflu, qui alourdit l’addition.

Le concept de déplastifi­cation militante est apparu, théoriquem­ent, dans les années 1990. Mais il a mis un temps infini à se traduire en acte. « Une personne qui nous soutient avait tenté d’organiser une opération

similaire en 2011 en Suisse, mais elle n’a trouvé personne pour la suivre…, raconte Fanny Vismara. Il faut croire que les esprits n’étaient pas mûrs. » Elle-même n’a eu le déclic qu’en mars dernier, après avoir vu circuler sur les réseaux sociaux la vidéo de la première « attack », qui a eu lieu dans un supermarch­é Tesco de Keynsham, dans le sud-ouest de l’Angleterre, avant de se propager à Montréal, à Bruxelles, et désormais à Paris. « Notre intention est de convaincre les groupes de grande distributi­on eux-mêmes qu’ils ont tout intérêt à évoluer et à exiger des producteur­s de réduire les plastiques », anticipe Fanny Vismara. Pourquoi? D’abord pour se faire de la pub en marchant sur les traces d’Ekoplaza, grande surface d’Amsterdam qui a ouvert un rayon comptant 680 références alimentair­es entièremen­t exemptes de plastique (à la place : du carton, du bois, du tissu, etc.). Ensuite, parce que « si un nombre croissant de consommate­urs déposent leurs emballages à l’entrée du supermarch­é, ce sera à lui de s’en débarrasse­r, à ses frais. Situation qu’il risque de trouver très rapidement déplaisant­e ».

Mine de rien, c’est une révolution culturelle qui est en train de se produire sous nos yeux. Pendant les Trente Glorieuses, le plastique n’était pas simplement vénéré par la ménagère soucieuse de gagner du temps (voir p. 32); il incarnait dans l’inconscien­t collectif la modernité : commode, hygiénique, ductile. L’ère du facile à produire, à utiliser et, bien sûr, à remplacer. Le philosophe Roland Barthes, dans ses « Mythologie­s » (1957), le qualifiait même de « matière miraculeus­e », d’« étonnement perpétuel », et déclarait que « le monde entier peut être plastifié ». Et qu’on relise le mythique album « la Maison de Barbapapa » (1972), qui a initié des génération­s d’enfants à l’écologie : bien qu’on y voie Barbapapa et ses rejetons boycotter la télévision, les bulldozers et les barres d’immeubles, ils raffolent du plastique, créatif et pop, avec lequel ils se fabriquent un chez-eux. Mais le matériau a aujourd’hui rejoint le côté sombre de la civilisati­on, générant des montagnes de déchets non recyclable­s et participan­t au réchau ement climatique. Et, puisque aucune bataille culturelle ne peut plus être conduite sans l’appui des réseaux sociaux, les « no plastic » exposent à la vue de tous les cas de plastifica­tion les plus absurdes observés dans les rayons. Regroupés sous le hashtag #Ridiculous­Packaging, ils montrent, emballées en barquettes blisterisé­es, une noix de coco (comme si sa coque ne la protégeait pas), une canette de soda ou une seule tranche de pain de mie. Le pompon du grotesque revient à un emballage de fraises en mousse polyurétha­ne, où chaque fraise est disposée séparément dans une petite cavité.

Bref, l’heure est révolue pour un certain nombre de pratiques, voire de produits – pas simplement les sacs à la caisse. Le gouverneme­nt britanniqu­e a ainsi décidé d’interdire, d’ici à la fin de l’année, toutes les pailles, touillette­s et cotons-tiges plastifiés. Le Costa Rica se livre aussi à un grand ménage. Et il y a belle lurette que dans les pays scandinave­s, en Allemagne et en Suisse les citoyens rapportent au magasin leurs bouteilles en plastique, touchant, en échange, quelques centimes – c’est très exactement la bonne vieille consigne appliquée jadis au verre, et que le gouverneme­nt français aimerait imposer (pour le moment uniquement aux DOM-TOM) dans le cadre de son projet de loi sur l’économie circulaire. Quand on sait qu’en France le produit le plus vendu en supermarch­é est l’eau minérale, il serait temps de montrer un peu plus d’audace !

Certaines associatio­ns, dont le collectif Cantine sans plastiques, secouent d’ailleurs le cocotier des parlementa­ires français. Et ils pourraient obtenir satisfacti­on. Le plastique devrait être banni de la restaurati­on scolaire d’ici à 2025 (et dès 2022 à Paris). Et pour cause : quand ce matériau est chau é et au contact des aliments, il fait migrer quantité de molécules chimiques dans ce que nous avalons – molécules suspectées de déboussole­r le système hormonal humain (les fameux perturbate­urs endocrinie­ns).

Mais il ne faut pas trop attendre des gouvernant­s. Puisque nous avons fait pénétrer l’envahisseu­r dans toutes les pièces de notre foyer, c’est à chacun d’entre nous de l’en déloger. Alors que s’ouvre le 5 juin le premier « No Plastic Challenge » (1), lancé sur les réseaux sociaux par le monde associatif, il est temps d’entamer notre dé-plastifica­tion. Le mot n’est pas très joli, mais la perspectiv­e est exaltante.

“LA PLUPART DU TEMPS, LE PLASTIQUE N’A PAS BESOIN D’ÊTRE REMPLACÉ. IL EST JUSTE INUTILE.” FANNY VISMARA, DE PLASTIC ATTACK

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« Le Grand Déballage », série du photograph­e Corentin Fohlen sur le gaspillage plastique.
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