L'Obs

La vieille gauche et la mer

- Par SYLVAIN COURAGE S.C.

Jean-Luc Mélenchon est un poète. Au nom de « l’urgence sociale » et pour « faire reculer Macron », il convoque, ce 26 mai, une « marée populaire ». Rien que ça! Plutôt que de recourir au vieux lexique de la « manifestat­ion », il donne dans la métaphore océanique. Sa « marée » est à la fois lyrique et performati­ve: magnifier l’événement, c’est déjà le faire exister un peu.

A la grande satisfacti­on du leader des « insoumis », la CGT a décidé de se joindre au cortège. Après avoir critiqué sa volonté hégémoniqu­e, elle se rapproche de l’ennemi Mélenchon. Mais pouvait-elle agir autrement? La CGT, qui a officielle­ment perdu 30000 adhérents en quatre ans, ne mobilise plus guère et ressent le besoin d’un renfort après plusieurs semaines d’un conflit des cheminots qui s’enlise.

Une fois n’est pas coutume, Mélenchon a su y mettre les formes. Lui qui avait cavalièrem­ent attribué l’échec du mouvement contre la loi Travail aux syndicats divisés, surjoue désormais l’esprit d’équipe. Sa « marée » recouvre toutes les divergence­s. La « fête à Macron » organisée par l’électron libre Ruffin est présentée comme une simple répétition générale… « Je milite pour une forme d’unité populaire qui décloisonn­e le syndicalis­me, la politique et le monde associatif », théorise l’« insoumis » qui rêve de reconstitu­er un front populaire, comme en 1936.

Info ou intox? Pour un front populaire, le compte n’y est pas. Ni le PS – « ce boulet de la gauche », conspué par Mélenchon – ni Force ouvrière, ni la CFDT, ne grossiront la marée. Il y a donc bien deux gauches, toujours plus irréconcil­iables. Et Jean-Luc Mélenchon, qui rêve de plumer la volaille socialiste, ne fait rien pour rassurer les progressis­tes réalistes. Son escapade promotionn­elle à Moscou évoque furieuseme­nt les visites au grand frère soviétique de feu Maurice Thorez ou feu Georges Marchais. Son refus de condamner le bolivarism­e vénézuélie­n de Nicolas Maduro, « réélu » dans un pays exsangue, constitue un effrayant déni. Pour un visionnair­e censé défendre un nouveau modèle « socialo-écolo », cette fascinatio­n pour l’autoritari­sme paraît rédhibitoi­re.

Tout à la création d’un « nouveau rapport de forces idéologiqu­e », Mélenchon semble ignorer que la gauche n’a pesé sur le destin de la France qu’en s’alliant avec des formations de gouverneme­nt et en prenant part à des compromis: du bloc des gauches à la majorité plurielle de Lionel Jospin en passant par le Front populaire, les gouverneme­nts de la Libération ou les septennats de François Mitterrand.

La gauche qui défilera samedi s’éloigne du réel. Celle qui a la lourde tâche de reconstrui­re la social-démocratie est dans le coma. Quant à celle qui a voté pour Emmanuel Macron il y a un an, elle se désespère : à quand le rééquilibr­age social de la politique gouverneme­ntale? Il n’est pas indifféren­t que les transfuges socialiste­s ralliés à La République en Marche créent un pôle de résistance parlementa­ire (voir p. 42). Après la loi Asile et Immigratio­n, la perspectiv­e de coupes dans les aides sociales évoquée par Bercy pourrait susciter un débat interne à la majorité.

Pressé par Bruxelles et la Cour des Comptes de réduire enfin les dépenses publiques, la droite macronienn­e tient le manche. Mais Emmanuel Macron, lui-même, semble avoir senti le vent du boulet italien: trop de rigueur mène droit au populisme. Le desserreme­nt des contrainte­s budgétaire­s que revendique la nouvelle coalition de la Ligue et du Mouvement 5 Etoiles implique une relance budgétaire européenne que Macron demande lui aussi, comme François Hollande avant lui. L’enjeu de cette bataille dépasse de loin les éternelles querelles de la gauche.

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