L'Obs

ITALIE ET EUROPE, CLASH INÉLUCTABL­E

- Par DANIEL COHEN Directeur du départemen­t d’économie de l’Ecole normale supérieure. D. C.

L’Italie est en train de devenir le nouveau champ de bataille de l’Europe, beaucoup plus lourd de conséquenc­es que le Brexit ou la Grèce. Sauf à se bercer d’illusions, il vaut mieux être clair : la sortie de l’Italie de la zone euro signerait la fin de l’union monétaire. Les attaques spéculativ­es seraient immédiatem­ent lancées sur les dettes espagnole et française. Le contrôle des capitaux s’imposerait vite, et le système bancaire européen aurait beaucoup de mal à être colmaté.

L’alliance entre la Ligue et le Mouvement 5 étoiles est la coalition des partis « anti-système », dont l’équivalent, en France, serait une alliance entre Le Pen et Mélenchon. La Ligue, ancienneme­nt Ligue du Nord, était pendant la campagne l’alliée du parti conservate­ur de Berlusconi. Très libérale dans le domaine économique, elle veut surtout rejeter à la mer les immigrés en situation irrégulièr­e. Le Mouvement 5 Etoiles fait ses meilleurs scores au sud. Le comparer à la France insoumise est un raccourci un peu rapide : il siège au Parlement européen avec le parti xénophobe de Nigel Farrage, où il a été rejoint par Florian Philippot. De fait très à gauche sur les questions économique­s – il veut revenir à la retraite à 60 ans et créer un revenu universel – il n’en cultive pas moins une certaine ambiguïté sur les questions migratoire­s. Son fondateur, Beppe Grillo, avait accusé les immigrés d’avoir ramené la tuberculos­e en Italie… L’un des points clés de l’accord entre les deux partis est d’ailleurs de procéder à l’expulsion de 500 000 immigrés.

L’alliance d’un parti du Nord et d’un parti du Sud peut apparaître comme une nouvelle réunificat­ion de l’Italie. La réalité est qu’en combinant le désir de baisser les impôts du premier et celui d’augmenter les dépenses du second, l’Italie marche sur un fil. Le programme de gouverneme­nt qui a été signé entre les deux partis est certes plus modéré que celui qui avait circulé dans la presse: la première ébauche prévoyait rien moins qu’une répudiatio­n de la dette détenue par la Banque centrale et un mécanisme de sortie de l’euro. Le clash avec la Commission européenne n’en est pas moins inéluctabl­e. La coalition rentrera-t-elle dans le rang ? Subira-t-elle l’assaut des marchés, créant une panique auto-réalisatri­ce? Ce sera le film de l’été, à 2 300 milliards d’euros (le montant de la dette italienne).

Ce qui demeurera, quoi qu’il advienne, est que les pays du Nord, Allemagne en tête, verront dans ces événements la confirmati­on de toutes leurs craintes sur la fiabilité des pays du Sud. A tout le moins, la succession de Mario Draghi à la tête de la BCE l’an prochain deviendra très tendue, l’hypothèse d’un président allemand ou assimilé devenant plus probable que jamais, ce qui pourrait signifier un raidisseme­nt (trop) brutal de la politique monétaire et in fine un nouveau krach…

Commentant Mai-68, Pierre Bourdieu expliquait qu’il ne faut faire que les révolution­s que l’on peut gagner. Sinon, on en paie le prix sans en avoir eu le bénéfice. Quelque chose de cette nature est peut-être en train de se jouer en Europe.

LA SORTIE DE L’ITALIE DE LA ZONE EURO SIGNERAIT LA FIN DE L’UNION MONÉTAIRE. LE SYSTÈME BANCAIRE EUROPÉEN AURAIT BEAUCOUP DE MAL À ÊTRE COLMATÉ.

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