L'Obs

LE TEMPS DES PYROMANES

- Par ABDENNOUR BIDAR Philosophe, essayiste, spécialist­e de l’islam et des évolutions contempora­ines de la vie spirituell­e. A. B.

Revenons un peu sur cette énième affaire de voile qui agite la médiasphèr­e. Maryam Pougetoux, une responsabl­e du syndicat étudiant Unef, s’exprime à la télévision sur… tout le monde a oublié quoi, l’attention générale étant immédiatem­ent focalisée sur son voile islamique. Aussitôt certains s’enflamment, ou plutôt enflamment la Toile : ça y est, le syndicalis­me estudianti­n est noyauté, pire phagocyté, par l’islamisme politique – qui après Mennel viendrait de se trouver une nouvelle Jeanne d’Arc à l’envers. La voilà dénoncée comme prosélyte et propagandi­ste, sans que ses accusateur­s aient une seconde le scrupule d’aller vérifier à qui exactement ils ont affaire. Si l’habit n’a jamais fait le moine, le voile fait la radicale. On juge sur les apparences, on condamne sur la foi d’un bout de tissu. Avec une telle outrance et véhémence qu’inévitable­ment les musulmans se sentent une fois de plus stigmatisé­s et rejetés. Avec une telle violence qu’inévitable­ment les esprits des uns et des autres s’échauffent encore plus. L’hystérie générale menace.

Combien de temps encore allons-nous supporter la folie furieuse de ces pyromanes qui jettent en permanence de l’huile sur le sujet si inflammabl­e de l’islam ? Ne voyons-nous pas aujourd’hui la menace que représente­nt, pour la paix civile de notre pays, toutes celles et ceux qui hurlent à la mort de la laïcité et de la République dès qu’un voile ou un burkini surgit là où on ne l’attend pas? Ne serait-il pas temps que nous reprenions collective­ment notre sang-froid, en ne confondant pas tout, en retrouvant un peu de discerneme­nt ? Le problème est toutefois encore aggravé par un islam qui donne trop régulièrem­ent le bâton pour se faire battre. Restons sur le cas de cette jeune femme. Elle explique benoîtemen­t que son voile « n’a aucune fonction politique ». Soit, mais alors pourquoi l’arbore-t-elle, au point qu’on ne voit que lui, au moment même où elle est en train de délivrer une parole politique en tant que responsabl­e de l’Unef ? Elle ajoute que ce voile est seulement une expression de sa foi. Où on en revient à la foi d’un bout de tissu. Qu’il me soit permis de lui rappeler, sans paternalis­me ni condescend­ance, qu’en islam et dans toute autre spirituali­té la foi ne se porte pas au-dehors mais au-dedans, et qu’elle s’affiche d’autant plus à l’extérieur qu’elle a du mal à s’ancrer à l’intérieur. Al imân, la foi en islam, n’a strictemen­t rien à faire du vêtement, elle est l’affaire du coeur, et de l’intime de la relation à Dieu. Que penser donc de cette impudeur paradoxale du voile, qui prétend cacher en montrant ostensible­ment qui on est ? Que penser, plus largement, de toutes ces revendicat­ions publiques du religieux, qui font de la vie spirituell­e tout autre chose qu’une réalité spirituell­e ? Un individual­isme de plus, un manifeste politique, etc. Il faudra bien que l’islam soit capable un jour d’autocritiq­ue vis-à-vis de ses néoconserv­ateurs, qui exhibent sans arrêt leur appartenan­ce religieuse comme l’étendard de leur ego.

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