L'Obs

DEMAIN, J’ARRÊTE !

Nous croulons sous les objets en plastique, nocifs pour la santé et pour l’environnem­ent. Pourtant, nous pouvons les réduire drastiquem­ent, sans revenir à l’ère préhistori­que. Bienvenue dans la vie (presque) déplastifi­ée

- Par ARNAUD GONZAGUE Photo CAROLINE CUTAIA

Une expérience d’anthropolo­gie amusante pour commencer : invitez, dans la cuisine d’Aline Gubri, un ami qui ne sait rien d’elle. Posez-lui cette colle : « En quoi cette pièce est-elle complèteme­nt révolution­naire ? » Après avoir salué la locataire des lieux, étudiante en environnem­ent de 22 ans vivant à deux pas de la tour Montparnas­se, il y a fort à parier que votre ami va plisser les yeux et se gratter le menton. Révolution­naire, cet espace carrelé de blanc, avec ses plaques de cuisson, son petit frigo, son placard en bois pâle, ses épices rangées dans une corbeille et ses ustensiles chromés ? Pour l’aider un peu, vous pourrez le conduire dans une autre pièce, la salle de bains, tout aussi extraordin­aire… où il n’apercevra qu’un lavabo surmonté d’un miroir et un panier en osier débordant de petits flacons en verre. Evidemment, votre ami donnera sa langue au chat.

Et pourtant, on n’a pas menti : le deuxpièces d’Aline Gubri témoigne d’une révolution en marche, non par ce qui s’y trouve mais par ce qui ne s’y trouve pas. Voilà trois ans en effet que cette souriante blogueuse (1) a commencé à évacuer de chez elle tout ce qu’elle pouvait pour rendre quasi nulle son « empreinte plastique », qui mesure ce que chacun d’entre nous fait subir à la planète en termes d’émissions de CO2, de déchets dévastateu­rs pour les écosystème­s marins et terrestres, sans compter les dégâts pour notre santé.

Deuxième expérience : invitez Aline Gubri chez vous. Elle n’aura pas besoin d’aller fouiner bien loin pour en extraire une montagne d’objets dérivés du pétrole, durs ou mous, opaques ou luisants, noirs ou colorés, faits de ces matériaux aux noms poétiqueme­nt industriel­s auxquels on ne prête même plus attention : acrylique, Nylon, Plexiglas, Cellophane, Formica, polystyrèn­e, latex, polyester, linoléum, polyurétha­ne, silicone, PVC, acétylène, Skaï, Néoprène… Nous sommes cernés ! En 2011, la journalist­e scientifiq­ue américaine Susan Freinkel s’est d’ailleurs amusée à dénombrer les objets en plastique avec lesquels son corps entrait en contact durant une journée ordinaire (2). Résultat : 196, soit deux fois plus que tous les autres matériaux réunis qu’elle touchait.

Pourtant, la dé-plastifica­tion partielle de nos vies est tout à fait possible. Sans aller jusqu’à abolir l’utilisatio­n du plastique, essayons déjà de la limiter, ce sera un bon début et une option bien plus efficace que le recyclage (voir p. 33) : car même s’il traitait un bon volume des déchets – ce qui est loin d’être le cas –, celui-ci émet toujours beaucoup de gaz à effet de serre, au cours de la collecte et de la refonte des matériaux… Et plus efficace que la solution des plastiques dits « biosourcés » (voir p. 35) – dérivés du végétal –, qui,

possèdent, certes, des atouts réels. Pour la planète, rien de mieux que d’en utiliser moins.

Aline Gubri, elle, a visé le zéro plastique et narre cette expérience dans un livre hyper pratique (3), où elle partage ses meilleures astuces. « Je pensais que cette conversion serait di cile. En fait, ça a été assez peu contraigna­nt. Il faut surtout mettre en oeuvre du bon sens. » Du bon sens et aussi, reconnaiss­ons-le, une organisati­on un peu plus lourde au quotidien, qui exige de se mettre plus souvent aux fourneaux – plutôt que d’acheter du tout-préparé blisterisé – et même de fabriquer soi-même une partie de ses produits au lieu de les glisser dans son Caddie. Eh oui, comme dit le slogan, à nous d’inventer la vie qui va avec ! Mais ces e orts sont payants : la jeune femme a ainsi la satisfacti­on de ne produire que 500 grammes de déchets non recyclable­s par an (vaisselle cassée, plaquettes de médicament­s…) – tout confondu. Soit l’équivalent de trois jours et demi de déchets plastiques – et uniquement plastiques – chez vous et moi ! « Et j’ai compté, cela m’a permis aussi de réaliser 30% d’économies sur mon budget, notamment en cosmétique­s et produits ménagers. C’est énorme, non ? »

Là où, habituelle­ment, le plastique règne en maître dans la cuisine, Aline a opté pour une vaste gamme de matériaux. Ceux, éprouvés, qu’on trouvait dans les souillarde­s du temps jadis : bois, osier, métal, verre, Inox, tissu, céramique, émail, terre cuite, porcelaine… Des matières généraleme­nt peu chères, durables, recyclable­s, dont le bilan carbone est bien meilleur. Il n’est pas di cile de remplacer les boîtes alimentair­es en plastique par des bocaux en verre ou en Inox, recouverts d’un carré de tissu. Pas davantage de remplacer l’eau minérale par de l’eau du robinet – 70 fois moins chère que son équivalent en bouteille plastique – dans laquelle on aura, une heure avant consommati­on, placé un bâtonnet de charbon actif (trouvable sur internet) qui retiendra ses possibles polluants. Idem pour les jus de fruits, aisément disponible­s en bouteilles de verre, voire (soyons fous) concoctabl­es à partir de fruits frais pressés, en lieu et place des briques et bouteilles de sodas, toutes saturées de plastiques. Evidemment, Aline Gubri a banni le film alimentair­e. Elle confection­ne le sien avec un torchon

enduit de cire d’abeille durcie, réemployab­le et facile à nettoyer.

L’absolue omniprésen­ce du plastique dans les cuisines porte un autre nom : le suremballa­ge. Une tendance qui, malgré les proclamati­ons écolos des rois de l’agroalimen­taire, n’a cessé d’exploser ces dernières années : selon Elipso, l’associatio­n regroupant les profession­nels de l’emballage plastique, celui-ci a bondi en France de 1,9 à 2,2 millions de tonnes entre 2012 et 2016. « Le suremballa­ge plastique s’explique par une alimentati­on de plus en plus ’’nomade’’ [on peut l’emporter et/ou la consommer debout, NDLR], par l’obsession pour l’hygiène des aliments et par une offre de plus en plus segmentée, c’est-à-dire que le packaging du père n’est pas celui de la mère et du fils… », regrette Didier Onraita. Cet ancien de chez Carrefour préside depuis 2013 Day by Day, une chaîne comptant une trentaine de boutiques en France ayant la particular­ité de vendre tout en vrac. Ce vieux terme de « vrac » est le maître mot des no plastic quand ils font leurs courses. Cela vaut pour les fruits et légumes à l’étal, les fromages et viandes à la coupe, le beurre à la motte et les produits secs (haricots, riz, pâtes…), souvent vendus en vrac également dans les grandes surfaces traditionn­elles. C’est encore plus naturel pour les commerçant­s sur les marchés ou dans les boutiques bio, qui consentent plus volontiers à ce que vous ameniez vous-mêmes vos sacs en tissu et bocaux en verre pour y placer les denrées. « Il arrive que certains n’en aient pas très envie pour des raisons supposées d’hygiène, reconnaît Aline Gubri. Mais la plupart des commerçant­s comprennen­t la démarche quand on prend deux minutes pour l’expliquer. Un restaurate­ur japonais m’a même offert 10% de réduction pour me féliciter de ne pas emporter ses sushis dans une barquette ! » Evidemment, la « vie en vrac » a une conséquenc­e dont il faut avoir conscience : la nécessité de faire plus souvent sa popote. Au lieu des paquets de biscuits emballés, des cookies maison. Au lieu des yaourts en pots, des créations tirées d’une yaourtière.

Par pudeur, passons vite dans la chambre à coucher (les préservati­fs en latex végétal tiré des hévéas sont disponible­s en boutique bio…) pour gagner la salle de bains, autre temple voué au dieu plastique. Ici, un mot d’ordre pour commencer à agir : choisir le solide au lieu du liquide. Par exemple, un simple pain de savon emballé dans du carton à la place des gels douche. En guise de shampooing, un produit en galet qui, contre toute attente, mousse très bien. Les crèmes hydratante­s, gorgées de propylène glycol, peuvent, elles, être détrônées par des bouteilles en verre d’huiles d’argan, de jojoba, de coco, de sésame (utilisées en cuisine, oui oui). Les brosses à cheveux et à dents, par leurs équivalent­s en bois, tout à fait compostabl­es. Les rasoirs jetables, par d’autres durables en Inox, les Kleenex, par des mouchoirs en tissu. Aline Gubri jure que sans être une championne du do it yourself, elle a trouvé des alternativ­es en fabriquant ses propres produits d’hygiène : elle a remplacé le déodorant par un mélange d’huile de coco et de bicarbonat­e de soude, le dentifrice par des copeaux de savon de Marseille mélangés à de l’eau et des huiles essentiell­es à la menthe poivrée.

Même chose pour les produits ménagers aux senteurs aussi champêtres que chimiques : « Le produit vaisselle liquide gagne à être tout simplement remplacé par un mélange liquide de savon de Marseille et d’eau », explique-t-elle. Sa lessive – savon de Marseille bio, toujours, avec du bicarbonat­e de soude –, qui ressemble à de la soupe grisâtre, elle l’a mise dans une bouteille en verre. Quant au classique nettoyant javellisé, elle l’a banni au profit du vinaigre blanc (acheté, bien sûr, en vrac) dans lequel elle a fait macérer des écorces de citron, d’orange ou de clémentine. Pour récurer son four ou nettoyer sa salle de bains, elle se contente de bicarbonat­e de soude. Même l’éponge a été facile à substituer. Comment ? Avec un tawashi. Ce mot japonais désigne une petite éponge confection­née à partir de tissus de récup, vieux tee-shirts, collants filés, chaussette­s usagées, etc. (une multitude de tutos existent sur internet). Précisons que le tawashi est à peu près inusable. Comme la majorité de ce qui devra composer nos appartemen­ts dans une époque future un peu moins jetable.

“SE CONVERTIR AU ZÉRO PLASTIQUE N’EST PAS SI CONTRAIGNA­NT. IL FAUT SURTOUT DU BON SENS.” ALINE GUBRI, BLOGUEUSE

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Exit le suremballa­ge et l’alimentati­on « nomade ». La tendance est aux matériaux durables et aux produits en vrac.
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