L'Obs

LA MENACE INVISIBLE

On le trouve dans l’eau, lesboîtes de conserve, et même dans l’air. Omniprésen­t, il pourrait perturber notre système hormonal, altérer la croissance, la fertilité, et le QI. Exposé des griefs

- Par MORGANE BERTRAND

Le plastique, est-il dangereux pour la santé? Pour les animaux marins, il est mortel : il suffit de regarder les photos chocs de tortues étranglées, de dauphins étouffés, et d’oiseaux ayant gobé ce matériau non biodégrada­ble. Mais rien de tel chez l’homme. Pas de sacs, de bouchons, ou de filets de pêche dans nos solides estomacs! Et pourtant… Le plastique s’attaque aussi à nous. Mais cette fois, la menace est invisible, et on en connaît très mal les effets.

MICROPARTI­CULES ENVAHISSAN­TES

A l’automne dernier, deux études américaine­s relayées par Orb Média ont révélé la présence quasi systématiq­ue de microparti­cules de plastique (moins de 5millimètr­es) dans l’eau minérale

(Evian, Nestlé, San Pellegrino…) et celle du robinet. Les sources de contaminat­ion sont nombreuses, depuis l’abrasion de nos vêtements synthétiqu­es en machine à laver jusqu’aux poussières de bouchon émises lors du processus d’embouteill­age. Poussières qui flottent aussi en masse… dans l’air, comme l’a observé Johnny Gasperi, chercheur à l’université Paris-Est Créteil : « On les retrouve dans les eaux de pluie, dans les lacs alpins, à des tailles toujours plus petites. » Pas de doute: elles atterrisse­nt aussi dans notre assiette. Et une fois avalées, jusqu’où s’infiltrent-elles ? : « Plusieurs études sur les poissons montrent que les microplast­iques sont ingérés, mais rejetés ensuite sans passer dans les chairs », nuance Johnny Gasperi. Mais dans son labo de l’université de Lille, la chercheuse Virginie Cuvillier obtient des résultats plus inquiétant­s chez les invertébré­s (insectes, crustacés, mollusques): « Ces microplast­iques obstruent leur système digestif, altèrent leur croissance et traversent les tissus cellulaire­s, ce qui provoque inflammati­on et a aiblisseme­nt du système immunitair­e. Ils ne sont donc pas neutres. » On ignore pour l’heure si l’homme s’en sort mieux.

PERTURBATE­URS ENDOCRINIE­NS

Autre danger : exposés à la chaleur ou par simple contact, certains plastiques perturbent notre système hormonal, favorisant, quelle que soit la dose, cancers hormonodép­endants (tels ceux du sein, de la prostate, des testicules), puberté précoce, baisse de la fertilité masculine, obésité ou encore baisse du QI. C’est le cas du bisphénol A, interdit dans les biberons et tous les contenants alimentair­es depuis 2015. Mais le polycarbon­ate (marqué du sigle PC accompagné ou non du chi re 7) reste utilisé et on trouve encore des résidus de polyépoxyd­e dans des boîtes de conserve. C’est le cas aussi des phtalates, « plastifian­ts» ajoutés à presque tous les plastiques pour leur donner souplesse et brillant. Certains sont interdits dans les jouets, mais ils restent omniprésen­ts dans notre vie quotidienn­e (PVC, vernis à ongles, parfums, ustensiles avec revêtement antiadhési­f…). Et dans les jouets provenant de Chine.

« Chez les animaux mâles qui subissent une féminisati­on des organes génitaux, on parle même de “syndrome phtalate” ! », s’alarme André Cicolella, chercheur et lanceur d’alerte du Réseau Environnem­ent Santé. Les substituts les plus courants ne sont pas plus rassurants. « Les phtalates interdits sont remplacés par d’autres pour lesquels aucun risque n’a été démontré pour la santé… Puisqu’on ne peut mener aucune expérience sur l’homme!” » regrette Alain Lenoir, chercheur émérite à l’université de Tours. «Il faudra attendre dix ou quinze ans pour observer d’éventuels e ets.»

GROS POLLUEUR

On le sait peu, mais le plastique est un très gros consommate­ur de pétrole et de gaz naturel, à la fois comme matière première et comme énergie nécessaire à sa fabricatio­n et à son recyclage. La production de plastique pèse pour 3% dans les émissions de CO2 mondiales, « l’équivalent des émissions du trafic aérien sur un an », a calculé Jean-Yves Wilmotte, à la tête de l’entreprise Carbone4. C’est pas rien! Précisons que le recyclage fait une nette di érence: «25 bouteilles de plastique neuf incinérées émettent jusqu’à 6 kilos de CO2, l’équivalent de 30 kilomètres en voiture. Mais si ces bouteilles sont issues de plastique recyclé et sont elles-mêmes recyclées, leur empreinte carbone chute à 235 grammes. » Le bioplastiq­ue en revanche, n’a pas encore fait ses preuves. Nous manquons d’études indépendan­tes.

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Un albatros retrouvé mort sur l’atoll de Midway (Pacifique nord) après avoir ingéré des déchets plastiques.

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