LE RECYCLAGE, C’EST PAS DU BIDON !
Les Français ne font pas assez d’efforts pour trier le plastique : un quart seulement de ces déchets connaît une nouvelle vie. Dommage, car sur le terrain, le processus est très efficace
Lundi, 6 heures du matin. Les éboueurs sont en train de rejoindre leur poste, au centre souterrain de la rue Noël-Ballay, dans le 20e arrondissement de Paris. La première benne destinée au tri arrive normalement à 6h10 près de la porte de Vincennes, pour éviter les embouteillages. Les poubelles au couvercle jaune (appelées « poubelles jaunes »), celles du tri sélectif, sont ramassées deux fois par semaine, alors que c’est six fois par semaine pour les poubelles classiques. « On espère arriver un jour à la proportion inverse : pour la ville de Paris, ce serait plus avantageux. Les collectivités peuvent revendre les déchets recyclés, alors que les autres partent alimenter les centrales de chau age urbain », explique Jérôme Delgrange, le responsable du secteur, à la Direction de la Propreté et de l’Eau.
Pour le moment, les Parisiens – comme tous les habitants des grandes villes – se font tirer l’oreille : « On trie bien le verre à Paris – 80% – mais assez mal le reste : 18% des déchets seulement sont recyclés », dit Mao Peninou, l’adjoint d’Anne Hidalgo, chargé de
la propreté. Sur les plastiques, les chiffres sont particulièrement mauvais, selon Citeo, la société qui organise la filière en France : seule une bouteille sur dix est triée par les Parisiens, contre une sur deux à l’échelle du pays. Ce mauvais chiffre s’explique : un immeuble parisien sur cinq est trop petit pour avoir une poubelle jaune. Le local à ordures est souvent situé en sous-sol, difficile d’accès. Et parfois, les habitants refusent de respecter les consignes : qu’on mette des épluchures ou des liquides visqueux dans les déchets destinés au recyclage, et ce sera tout le travail de l’usine de tri qui sera perturbé.
Alors, le premier rôle des éboueurs, c’est de vérifier que la poubelle jaune ne contient rien de dangereux pour la suite du processus : « Si nous voyons dépasser des déchets ménagers, elle est rejetée d’emblée », explique Jérôme Delgrange, en soulevant un couvercle. Dans ce cas, un bout de Scotch infamant scelle son avenir : son contenu finira dans l’incinérateur, avec les poubelles ordinaires. Evidemment, si le mauvais contenu est invisible, sous une couche de papier, l’éboueur ne peut rien faire. C’est là qu’intervient le civisme de chacun d’entre nous, ou les formations qu’ont reçues les gardiens d’immeuble. Pour le moment, Jérôme Delgrange fait un constat : il y a des rues – en général, dans les quartiers privilégiés – où ça trie plutôt bien… et d’autres où ce n’est pas une priorité pour les habitants. Dans l’ensemble, le taux de rejet des poubelles jaunes est compris entre 2% et 5% selon les rues.
Les déchets acceptés, eux, vont vivre une nouvelle vie. On retrouve leur trace quelques heures plus tard au Blanc-Mesnil, dans l’immense usine de recyclage du groupe Paprec. Un gros camion est en train de déverser dans la cour ses 3 tonnes de cargaison. Il en passe cinq comme lui par heure : 180 tonnes sont traitées ici chaque jour par 60 salariés, soit la production de 1,5 million d’habitants. Une pelleteuse les introduit dans une machine, qui les éparpille sur un tapis roulant, où démarre la première étape : un tri manuel, destiné à éliminer les déchets non recyclables qui ont échappé à la vigilance des éboueurs. Ensuite, le processus est totalement mécanisé, grâce à des machines à fort contenu technologique : « Nous avons investi 10 millions d’euros dans cette usine, et notre nouvelle unité dans l’Oise coûtera 25 millions », explique Emilie Lacroix, la directrice du site. Papiers, emballages Tetra Pak, plastiques et métaux passent d’abord dans un gigantesque rouleau à trous. Il tourne en évacuant les matériaux en fonction de leur taille. La sélection se poursuit grâce à d’énormes secousses, puis par un passage dans une soufflerie qui évacue tout ce qui est léger. Avant chaque étape, le tapis roulant fait passer les déchets sous un scanner : cette reconnaissance optique permet de diriger chaque objet vers sa bonne file de traitement. Et enfin, côté métaux, un tri magnétique sépare acier et aluminium. Au bout de ces 2,5 kilomètres de trajet ultrarapide, le contenu de nos poubelles est classé presque impeccablement. L’ultime étape est à nouveau manuelle : les opérateurs enlèvent le papier resté avec les plastiques ou les canettes.
Au fil du traitement, les scanners ont permis de séparer les plastiques euxmêmes en plusieurs catégories : les bouteilles transparentes peuvent redevenir des bouteilles, tandis que les colorées deviendront des textiles. Les contenants opaques comme les bacs à glace et les briques de lait UHT seront des gaines de chantiers ou des meubles de jardin. Il y a aussi des pièges, comme le polystyrène : il ne se recycle pas, et il n’est pas facile de le différencier des autres types de plastique. Les yaourts vendus en pack, collés les uns aux autres, sont dans du polystyrène, tandis que les yaourts séparés sont dans des pots recyclables.
“À PARIS, ON TRIE BIEN LE VERRE, 80%, MAIS 18% SEULEMENT DES DÉCHETS SONT RECYCLÉS.” MAO PENINOU, ADJOINT D’ANNE HIDALGO CHARGÉ DE LA PROPRETÉ
Les chercheurs de Paprec travaillent encore sur des méthodes pour transformer le polystyrène. « Mettre au point ces procédures prend beaucoup de temps. Ce serait mieux si les fabricants commençaient par venir nous parler, avant de choisir leurs emballages ! » estime Emilie Lacroix.
Les industriels de l’agroalimentaire ont leur part de responsabilité dans le mauvais recyclage, mais nous, les citoyens, aussi : « Vous comprenez maintenant pourquoi nous demandons de ne pas jeter des liquides dans ces déchets : ils collent le papier et les plastiques, et les séparer devient impossible », explique Emilie Lacroix. Est-ce le manque de pédagogie de la part des mairies, est-ce l’incrédulité des consommateurs qui ne croient pas à la possibilité d’un recyclage efficace ? Les mauvaises habitudes perdurent : entre ceux qui croient qu’il faut laver les boîtes ou bouteilles avant de les jeter – non, il suffit qu’elles soient vides – ceux qui les empilent l’une dans l’autre – non surtout pas, les machines n’aiment pas ça – et ceux qui mettent le tout dans des sacs – eh bien non, il faut jeter directement en vrac dans la poubelle jaune – recycler demande un effort.
Citeo, l’organisme qui surveille la filière, a donc décidé de changer les règles du tri : désormais on pourra jeter tous les types de plastiques, même ceux qu’on ne sait pas encore recycler, pour encourager la pratique, car « globalement, le plastique se recycle très bien », assure Emilie Lacroix. Dans l’usine du Blanc-Mesnil, à la fin de la journée, les gros ballots de matières bien triées et compressées, pesant de 300 kilos à une tonne, s’empilent les uns à côté des autres, donnant à l’entrepôt des airs de musée d’art contemporain. Ils n’ont pas la valeur des sculptures d’Arman, mais ce n’est pas si mal que ça pour les collectivités, qui en sont les propriétaires : ces tas de bouteilles transformées valent une centaine d’euros pièce, et leur mutation permet d’économiser du pétrole et de réduire les émissions de CO2, tout en évitant de remplir les océans de ces saletés indestructibles. Un bilan franchement positif et, en plus, cette valorisation contribue à réduire les impôts locaux. Alors, plus d’hésitation…