L'Obs

Bessette, la maudite

ON NE VIT QUE DEUX FOIS, PAR HÉLÈNE BESSETTE, POSTFACE DE JULIA DECK, OTHELLO, 150 P., 16 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

On est au début des années 1990, Hélène Bessette a 72 ans, et elle n’a rien publié depuis « Ida ou le délire », en 1973. Elle vit au Mans, ou plutôt s’y survit, dans un dénuement presque total. Et un oubli plus grand encore. D’avoir signé treize romans et une pièce de théâtre chez Gallimard, où Raymond Queneau la parraina (« Enfin du nouveau! »), et d’avoir été marrainée par Simone de Beauvoir, Nathalie Sarraute ou Marguerite Duras, ajoute à sa solitude et à son amertume. Cette ancienne institutri­ce, qui frôla la célébrité, fut plusieurs fois nominée pour le prix Goncourt (avec des livres si peu académique­s, « sans intrigue ni personnage­s », et tellement poétiques qu’on croirait à un malentendu) et portée aux nues par les critiques Alain Bosquet et Claude Mauriac, s’était vu refuser ses derniers textes par Gallimard. De guerre lasse, elle quitta Saint-Germain-des-Prés, devint serveuse, concierge, femme de ménage et disparut dans la Sarthe, où elle se nourrit de Vache-qui-Rit et mourut, anonyme, en 2000.

Dix ans plus tôt, Hélène Bessette décide pourtant de se rappeler au bon souvenir de tous ceux qui l’ont abandonnée et d’écrire elle-même la biographie qu’elle aurait rêvé qu’on lui consacrât. Trouvé dans les archives de l’Imec, à Caen, « On ne vit que deux fois » est un livre maladroit, bancroche, dont certaines phrases semblent même être passées à la moulinette de Google Translate. Il n’est en outre épargné ni par les crises de paranoïa ni par les excès de mégalomani­e. Et pourtant, malgré sa langue concassée et son narcissism­e appuyé, cette confession est bouleversa­nte. On dirait la longue plainte d’une relapse. Hélène Bessette raconte, de manière syncopée, sa vie d’errance, ses années d’institutri­ce, son mariage avec un pasteur qui l’emmène en NouvelleCa­lédonie, lui donne deux fils, et dont elle divorce, son entrée chez Gallimard, en 1953, avec « Lili pleure », aussitôt auréolé du prix Cazes, mais aussi le procès pour diffamatio­n qu’une amie d’enfance, du nom de Lecoq, intenta à la romancière des « Petites Lecocq » (1955). Elle souffre de l’insuccès de ses livres et de son corollaire, le manque d’argent, se lance dans une « guerre du style » en fondant le Gang du Roman poétique, se dit victime de persécutio­n et de « dénigremen­t systématiq­ue ». Celle qu’on surnomme la « Gréco blonde » se moque drôlement du milieu littéraire, où les grands écrivains communiste­s, tel Aragon, sont riches, et où, au cocktail Gallimard, « le monstrueux est bien porté ». Elle excelle à se portraitur­er en « subjectivi­ste, fichtéenne et bergsonien­ne », paie sa dette à la poésie polynésien­ne, à l’art abstrait, à Gertrude Stein, Katherine Mansfield, Simone Weil et à « Ulysse », de Joyce. Elle râle, elle gémit, elle crie. Dix-huit ans après sa mort, elle tape encore du pied et du poing pour se faire entendre. C’est réussi. Quel chahut.

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Hélène Bessette en 1954.

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