CONTRAT SOCIAL OU MANDAT CÉLESTE
L a chape de plomb qui s’est abattue sur
Hongkong laisse une impression tragique de déjà-vu.
Dans la nuit du 3 au 4 juin 1989 place Tiananmen, le pouvoir chinois avait écrasé dans le sang le « printemps » démocratique de Pékin ; cette fois, il n’a pas déployé des chars mais un arsenal législatif draconien. Carte blanche a été donnée à l’appareil sécuritaire du continent pour reprendre le contrôle d’un territoire dont l’autonomie n’existe désormais plus que sur le papier.
En 1989, la jeunesse qui occupait le centre de Pékin avait grandi dans une Chine plus apaisée, après la disparition du Grand Timonier treize ans plus tôt. Celle qui se bat à Hongkong est la première génération n’ayant connu que la souveraineté chinoise (l’un de ses leaders les plus connus, Joshua Wong, est né quelques mois seulement avant la rétrocession de 1997). Dans les deux cas, une génération idéaliste a cru que la force de ses rêves serait plus forte qu’un appareil totalitaire bien rodé.
Le parallèle ne s’arrête pas là. En 1989 et dans les années qui suivirent, les dirigeants chinois, qui bénéficiaient toujours, il est vrai, de la présence du vieux pragmatique Deng Xiaoping, ont eu l’habileté de dépasser l’écrasement dans le sang d’une partie de la jeunesse, de survivre aux sanctions internationales et de relancer avec succès le processus de réformes économiques. Une génération politique a été sacrifiée ; des milliers de morts, de détenus, de pestiférés ou d’exilés ont payé le prix de leur audace. Mais un nouveau contrat social en est sorti, résumé par le slogan « enrichissez-vous ! ». Les investisseurs occidentaux n’ont pas été les derniers à en profiter, oubliant bien vite le choc de 1989, celui qui avait fait dire à François
Mitterrand, « un régime qui fait tirer sur sa jeunesse n’a pas d’avenir »…
On n’en est pas là en 2020, mais si les dirigeants du Parti communiste chinois, avec Xi Jinping à leur tête, ont fait le choix d’écraser sans ménagement la révolte de la jeunesse, il leur faut offrir un nouveau contrat social à la population de cette ancienne colonie britannique. Cela ne sera pas la participation politique : Pékin s’en prend justement à ceux-là même qui ont remporté, il y a à peine sept mois, des élections locales, alors que les autorités espéraient que les images de violence de 2019 feraient élire les candidats conservateurs.
Reste la même « recette » qu’en 1989, l’enrichissement, qui a longtemps été le seul moteur de la société hongkongaise, celle des générations de réfugiés fuyant la collectivisation de l’économie chinoise. Pour faire oublier la vague « nihiliste » incarnée par les jeunes aujourd’hui pourchassés ou poussés à l’exil, rien de tel qu’une « carotte » matérialiste. Tous les observateurs auront noté que la Bourse de Hongkong, une place financière toujours majeure pour l’économie chinoise car ouverte sur le monde, a connu des hausses record pendant la semaine où était imposée, dans le territoire, la nouvelle loi sécuritaire. Sur le continent, Pékin booste régulièrement les cours de Bourse lorsque le calendrier politique ou la conjoncture l’exigent…
Le mandat céleste dont se prévalaient autrefois les dirigeants de la Chine impériale a été remplacé par un contrat social, nécessaire même dans un système autoritaire. Xi Jinping aura-t-il la capacité politique de proposer un tel « contrat » aux Hongkongais qui voient s’envoler leurs libertés ? Ou ne lui restera-t-il que la force pour se faire respecter dans un territoire qui voulait être chinois ET libre ?