L'Obs

A ma mère

23h25 Arte renault 12

- Sophie Grassin

Documentai­re belge de Mohamed El Khatib (2017). 1h20.

S’il fallait trouver des références à ce journal intime, elles seraient à chercher du côté d’Albert Camus et d’Alain Cavalier. En 2012, le metteur en scène Mohamed El Khatib perd Yamna, sa mère : il se trouve à Belle-Ile; la rotation des bateaux avec le continent, qui s’achève dès 19 heures, l’empêche de se rendre à son chevet : « Jamais plus je n’irai sur une île », souffle-t-il. De Yamna, il ne garde qu’un bracelet d’hôpital, et le grain de la voix gravée sur une cassette audio. Avec sa petite caméra numérique, il a filmé leurs derniers échanges et en a tiré un monologue présenté au Festival d’Avignon en 2015 : « Finir en beauté ». « Renault 12 », sa déclinaiso­n filmée, pourrait s’intituler « la beauté du geste ». Et quel geste ! Photo d’identité, carnets où il consigne notes et citations de Roland Barthes, cartes routières de la région d’Orléans déployant la géographie d’une enfance à cheval entre deux cultures… Des outils minimaux pour une puissance d’évocation maximale et un autel érigé à la disparue. Sur l’injonction d’un oncle, cet archéologu­e du souvenir qui récuse le terme de deuil, « trop psychanaly­tique » selon lui, prend ensuite la route du Maroc dans l’increvable Renault 12 de son père pour aller recueillir son héritage. Propice aux rencontres de hasard, ce road-movie divise des proches prompts à lui dire ses quatre vérités : l’actrice d’un de ses spectacles lui reproche de ne pas pleurer, sa soeur le bouscule (« Tu vas faire le moderne sur France Culture mais dès qu’il s’agit de tes petits intérêts… »), un ami épingle sa complaisan­ce : « Arrête de nous emmerder avec ta mère ! » Au-delà de la magie de certains plans, ce petit bijou sur l’identité et la transmissi­on carbure aussi à un humour subtil. C’est un cousin, acteur en herbe, qui déclame du Corneille avec un accent pas possible. C’est l’imam qui, à l’enterremen­t, récite une sourate du Coran, smartphone à la main. C’est Mohamed El Khatib s’interrogea­nt soudain : « Je suis dans le champ ? » (de la caméra, certes, mais aussi de blé). Qui verra la fin du film, merveille d’ironie, s’apercevra qu’il l’est même triplement.

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