L'Obs

Une faute politique

- Par PASCAL RICHÉ P. R.

Je ne comprends pas cette polémique. » Cette petite phrase de Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, résume le gouffre qui sépare le pouvoir de toutes celles et tous ceux qui manifesten­t contre la promotion de l’ex-ministre de l’Action et des Comptes publics à la place Beauvau. Pour comprendre, il faut d’abord écouter.

Certes, Gérald Darmanin est présumé innocent, il n’est même pas mis en examen, et certaines pancartes brandies dans les défilés (« Un violeur à l’Intérieur, un complice à la Justice ») ne respectent ni ce principe ni l’homme qu’elles visent. Mais la présomptio­n d’innocence n’est pas le coeur de l’affaire.

En 2009, Gérald Darmanin a demandé à une femme des rapports sexuels en échange de la promesse d’intervenir auprès du ministère de la Justice pour faire effacer le casier judiciaire de celle-ci. Son avocat ne nie pas ces faits, mais la qualificat­ion de « viol ». Une informatio­n judiciaire a été ouverte, un juge a prononcé un non-lieu, il y a eu appel, l’enquête a été rouverte en juin. A moins que les juges ne s’en chargent euxmêmes, des policiers peuvent donc être amenés à interroger le ministre… sous les ordres duquel ils sont désormais placés. Une situation pour le moins inhabituel­le et qui a choqué la presse internatio­nale.

L’enquête en cours « n’a pas fait obstacle » à la nomination de Darmanin, dit l’Elysée. Pour ceux qui manifesten­t, elle aurait dû. Car quel message est envoyé aux femmes victimes d’abus, qui hésitent déjà souvent à se rendre au commissari­at, quand le « premier flic de France » fait lui-même l’objet d’une enquête? Après la vague #Metoo, qui a mis au jour une tolérance aux violences sexuelles indigne de nos sociétés, le pouvoir se doit d’être exemplaire. Emmanuel Macron, qui plaide régulièrem­ent pour l’égalité hommes-femmes, n’a manifestem­ent pas choisi cette voie. D’autant que d’autres signaux envoyés lors du remaniemen­t trahissent une indifféren­ce à la cause de #Metoo. La nomination d’Eric Dupond-Moretti, qui n’est pas le plus grand des féministes, au poste de garde des Sceaux, en fait partie.

On devine bien les raisons qui ont poussé à promouvoir Gérald Darmanin. La première est politique : n’ayant pas réussi à débaucher de gros calibres dans le camp de la droite – qu’il s’agit de priver d’oxygène électorale –, il a fallu ruser : un proche de Xavier Bertrand a été nommé à Matignon, un pourfendeu­r du politiquem­ent correct, place Vendôme, et Darmanin, donc, ex-pilier de l’UMP devenue LR, a été mis à la tête d’un des ministères régaliens les plus puissants. La seconde est l’efficacité : le ministre a réussi son passage au Budget et sa réforme, la retenue à la source, est l’une des rares qui soit passée comme une lettre à la poste. Alors que la police traverse une crise grave, Macron avait besoin d’un ministre costaud pour la diriger : il est convaincu que Darmanin « fera le job », comme on dit dans le vocabulair­e de la « start-up nation ».

Mais sa nomination n’en est pas moins une faute politique, que le président risque de payer cher. Une des raisons de l’attrait qu’il avait suscité en 2017 était sa promesse de rétablir la confiance des citoyens vis-à-vis du pouvoir. Sa main n’a pas tremblé alors, lorsqu’il a fallu éjecter les ministres du MoDem pris dans un scandale d’emplois fictifs. Et deux lois sur la « confiance dans la vie politique » ont été votées. Puis ces efforts de moralisati­on se sont étiolés avec l’exercice du pouvoir. La promotion de Gérald Darmanin y met un terme. La disparitio­n promise de « l’ancien monde » devra attendre.

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