MACRON DANS LA SPIRALE
Les connaisseurs le savent: depuis quarante ans, le parti au pouvoir en
France a (presque) toujours perdu les élections suivantes. Les socialistes victorieux de 1981 (avec François Mitterrand) ont perdu les législatives de 1986. La droite victorieuse de 1986 (emmenée par
Jacques Chirac) a perdu la présidentielle de 1988. Les socialistes revenus au pouvoir en 1997 (avec Lionel Jospin) ont perdu la présidentielle de 2002. Nicolas Sarkozy n’a pas réussi, en 2012, à remporter un second mandat. Cinq ans plus tard, François Hollande a renoncé face à l’obstacle et son Parti socialiste a sombré corps et âme.
L’une des rares exceptions à cette règle depuis quarante ans, ce fut quand Sarkozy succéda à Chirac en 2007. Mais même dans ce cas particulier, il y avait au sein de la droite une impression de révolution de palais : les « balladuriens » marginalisés pendant les deux mandats de Chirac ont pris leur revanche (« la rupture ») et imprimé un style de gouvernement radicalement différent. Comme à chaque échéance électorale nationale, les électeurs avaient exprimé la demande d’un changement radical.
La dynamique de ces défaites suit toujours la même séquence. Les nouveaux dirigeants arrivent au pouvoir sûrs d’eux-mêmes et déterminés à tout changer. Vous allez voir ce que vous allez voir, semblentils dire aux électeurs. Chaque relève politique marque le lancement de chantiers ambitieux : les nationalisations de 1981-1982, les privatisations en 1986, les 35-heures en 1997, la frénésie de « réformes » de Sarkozy en 2007, la « révolution » promise par Emmanuel Macron lorsqu’il a remporté, à la surprise générale, la présidentielle de 2017.
Ensuite viennent les difficultés, qui sont souvent sans rapport direct avec les politiques mises en oeuvre. La libéralisation à marche forcée de l’économie française menée en 1986 a subi un coup d’arrêt du fait des manifestations étudiantes et de la mort tragique du jeune Malik Oussekine. L’élan progressiste du Jospin de 1997 a subi un coup d’arrêt après les démissions inattendues de ministres de premier plan comme Dominique Strauss-Kahn, Claude Allègre, JeanPierre Chevènement ou Martine Aubry. Le programme de travail de Sarkozy a été balayé par la crise financière de 2008. Macron, lui, s’est cassé les dents d’abord du fait de l’affaire Benalla, puis face aux manifestations des « gilets jaunes ».
La troisième étape est une inflexion inspirée par la prudence face à la crise. On revient à une approche plus banale et modérée. On remplace les trublions par des collaborateurs plus policés. On se penche sur les études d’opinion pour essayer de deviner ce que les Français veulent vraiment. L’enthousiasme retombe ; les chantiers sont mis à l’arrêt ; l’impression générale est qu’on fait du surplace, que les personnalités au pouvoir ont succombé à la pusillanimité. Et c’est tout cela que les électeurs, lors de la prochaine échéance, finissent par sanctionner. Ils croyaient avoir élu des dirigeants révolutionnaires (« La France pour tous » de Chirac, le « Tout devient possible » de Sarkozy, « Le changement, c’est maintenant » de Hollande), mais ils découvrent des dirigeants obsédés par les sondages, faibles face aux lobbys et qui, au fond, font la même chose que leurs prédécesseurs : une petite réforme de la SNCF par-ci, une petite réforme des retraites par-là, un peu de baisse des impôts couplée à des efforts d’économie, un durcissement sur l’immigration, une énième réforme territoriale, et vogue la galère.
Que penser, dans ces conditions, de la façon dont se déroule le mandat d’Emmanuel Macron ? Pour tout dire, la séquence est exactement la même que pour tous ses prédécesseurs: promettant d’abord la révolution (et l’incarnant par son jeune âge et sa personnalité atypique) ; confronté à des difficultés après un temps ; et finalement forcé de normaliser à la fois sa politique et le casting des ministres choisis pour la mettre en oeuvre. Comme ses prédécesseurs, Macron risque ainsi de décevoir les révolutionnaires autant que les réactionnaires et de renvoyer cette impression perpétuelle que rien ne peut jamais changer dans cette France soudain devenue rance, frileuse et tournée vers le passé.
La communication sur le nouveau gouvernement corrobore cette impression. Les sources des journalistes parlent de « renouer avec un imaginaire traditionnel », d’un gouvernement « de l’authenticité », de « la fin de la “start-up nation” ». Mais si nous sommes bien, comme il y paraît, dans une tragédie grecque, alors l’issue est connue d’avance : flanqué d’un gouvernement fait pour divertir plus que pour agir, Macron risque de décevoir à son tour et d’exciter à nouveau l’appétit des électeurs pour un bouleversement. Difficile de dire qui sera le révolutionnaire de service la prochaine fois, mais nous savons désormais qu’en matière électorale, « tout devient possible ».