L'Obs

Un peuple et son roi

- Jérôme Garcin

Drame historique de Pierre Schoeller (2017). Avec Adèle Haenel, Gaspard Ulliel. 2h01.

Tout, ici, est révolution­naire. La forme, d’abord : pour décrire le plus grand moment de l’histoire de France – la chute de sa monarchie et la naissance de sa république –, rien qui sente l’opulence de la superprodu­ction, rien de grandiose, d’hyperboliq­ue, de lyrique. Même l’immense Bastille, montrée entière et en ombre portée au tout début du film, paraît en mauvais carton-pâte. Le roi quitte en silence un Versailles sans faste ni cour, les foules d’insurgés sont maigres, les plans d’ensemble sont rares, plus rare encore le numérique, et la lumière se réduit le plus souvent à un clair-obscur de bougie, de torche, de fin de siècle. Le fond, ensuite : le réalisateu­r réussit la prouesse de représente­r la période fondatrice de la Révolution française – de l’été 1789 à l’exécution, le 21 janvier 1793, de Louis XVI – sans manichéism­e, sans faire de Capet un gros idiot ou de Saint-Just un archange. Et sans jamais chercher à être édifiant. Pierre Schoeller n’a qu’un objectif: faire parler et agir le peuple qui a décidé de son destin, en construisa­nt une nation en même temps qu’il détruisait la Bastille, en dessinant une démocratie en même temps qu’il déchirait un royaume et en tuant pour renaître. Ce peuple n’est pas une entité abstraite : il a le visage de Reine Audu (Céline Sallette), vendeuse de harengs, qui, en tête des révoltées, a marché sur Versailles, de l’oncle maître verrier (Olivier Gourmet) et de son apprenti, Basile (Gaspard Ulliel), ou des lavandière­s Françoise (Adèle Haenel) et Margot (Izïa Higelin). Et quand ce n’est pas le peuple, c’est sa toute première représenta­tion à l’Assemblée nationale, dont les débats désordonné­s fournissen­t les meilleurs moments de ce film, avec un Marat réincarné par l’halluciné Denis Lavant et un Robespierr­e dont Louis Garrel ferait presque une icône de la Nouvelle Vague. Enfin, lorsque le roi monte sur l’échafaud, Pierre Schoeller fixe moins sa caméra sur le guillotiné que sur les yeux du peuple assistant, comme dépassé par l’événement, à l’exécution. Tout un symbole. Ce plan donne son sens et sa singularit­é à ce grand film, qui mérite vraiment d’être qualifié de populaire.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France