CES FEMMES QUI AIMENT UN SERIAL KILLER
Patrice Alègre, Guy Georges, Francis Heaulme… Ces tueurs en série entretiennent une abondante correspondance avec des “groupies”, les reçoivent en prison, et nouent parfois des histoires d’amour. Qu’est-ce qui motive ces femmes? Une fascination pour le ma
Marie (1) plaît aux hommes, depuis toujours. Elle n’est ni une séductrice e rénée ni une célibataire endurcie, elle se dit juste « normale ». A 40 ans, elle a eu un mari, a construit une famille, s’est séparée. Elle avait donc d’autres options, dans sa vie a ective, que de tomber amoureuse « du Patrice », comme elle l’appelle. Marie est canadienne, et quand elle évoque Patrice Alègre, elle le désigne fréquemment ainsi. Elle dit aussi : « Mon projet de vie n’était pas de tomber en amour avec un meurtrier en série. » Mais maintenant le mal est fait, elle ne va pas « s’arracher le coeur » et assume son histoire avec le serial killer toulousain, dont le regard clair, la petite houppette et les crimes atroces hantent encore toute une région.
Entre Marie et Patrice Alègre, condamné à la perpétuité en 2002 pour les meurtres de cinq jeunes femmes et le viol d’une sixième, tout a commencé il y a environ trois ans. A cette date, Marie a repris des études de psychologie au Canada. Elle doit contacter trois tueurs en série et les convaincre de répondre à ses questions. Elle en choisit un aux Etats-Unis, un autre au Canada. Et un en France, au hasard : Patrice Alègre, le « prédateur urbain » comme l’a surnommé un des psychiatres chargés de l’expertiser, celui qui violait puis tuait les femmes qui lui résistaient, tout en menant en parallèle une vie de famille tranquille. Au fil des courriers échangés, Marie considère qu’il n’est pas « le tueur assoi é de sang » décrit dans les journaux. Il lui confie regretter ce qu’il a fait, assure avoir pris conscience de ses actes. Lui qui a subi des violences étant enfant, témoin des coups donnés par son père à sa mère, puis de la vie dissolue et alcoolisée de cette dernière, a rme avoir pris du recul sur son parcours. Il s’est sevré aussi, plus de drogue, plus d’alcool.
MEETIC POUR CONDAMNÉS
Quelques mois après le début de leurs échanges épistolaires, Marie s’installe en France, rend visite au prisonnier et tombe amoureuse de lui, pour de vrai. Commence alors une relation rythmée par des visites tous les week-ends au parloir « famille » (une sorte de studio) du centre pénitencier de Moulins-Yzeures (Allier). « C’est quelqu’un de très gentil, de très attentionné, qui s’intéresse à vous, assure Marie. Je sais que c’est di cile à croire mais c’est vrai. Je ne me suis jamais sentie aussi respectée. Il n’a rien à voir avec les autres tueurs avec lesquels je correspondais, je l’aime parce que c’est lui, cela n’aurait pas pu être un autre. »
On le sait peu, on ne le dit guère, on l’écrit rarement, mais les pires criminels de l’histoire ont toujours eu leurs « groupies ». Les plus gros voyous, les tortionnaires, les terroristes, mais aussi les tueurs en série. Leurs avocats, les magistrats qui les ont jugés, les surveillants des prisons dans lesquelles ils finissent leur vie le savent. Des femmes que tous décrivent comme « normales » tombent amoureuses de ceux que l’on appelle des « monstres ». Ils ont tué, étranglé, torturé, dépecé ; qu’importe, elles les aiment. Aux Etats-Unis, où les serial killers sont plus nombreux qu’en France, le phénomène est bien connu : des sites internet, sorte de Meetic pour condamnés à mort, permettent même aux « fans » de converser avec les plus grands criminels (2). En France, l’administration pénitentiaire fait barrière. Elle filtre les courriers et les demandes de visite. Mais le phénomène existe. Et il est très ancien. Au début du siècle, Landru, surnommé le « Barbe-Bleue de Gambais » pour avoir tué 11 femmes rencontrées via des petites annonces, aurait reçu près de 800 demandes en mariage et 4 000 lettres enflammées. Guillotiné en 1922, il n’a jamais pu y répondre.
Patrice Alègre, lui, n’a jamais battu ce record. Mais, depuis le début de sa détention, ce fils de CRS, surnommé parfois « Tintin » (à cause de sa houppette), attire aussi les femmes. Marie n’a pas été la première. Ses avocats, dont Me Edouard Martial, se souviennent d’en avoir rencontré plusieurs, toutes structurées, l’une était même femme de policier. « Il avait du succès avant d’être arrêté, constate Me
“IL Y A CHEZ GUY GEORGES UN CÔTÉ TRÈS NORMAL. IL EST BEAU. IL Y A SANS DOUTE CHEZ ELLES UN DÉSIR DE LE SAUVER.”
ALEX URSULET, UN DE SES AVOCATS
Martial, qui l’a défendu il y a quinze ans en marge de l’a aire Baudis. Cela a continué après. Evidemment que ce que je vais dire peut être choquant, mais Alègre a un regard doux, une attitude un peu féminine. Quand on ne sait pas ce qu’il a fait, c’est indétectable, rien ne vous alerte. Il a un pouvoir de séduction évident. »
DES FILLES “NORMALES”
Le plus couru des tueurs en série français reste Guy Georges, « le tueur de l’est parisien », « la bête de la Bastille ». Fils d’une serveuse, qui l’a abandonné, et d’un GI noir américain, qui ne l’a jamais reconnu, cet habitué des squats violait et égorgeait ses victimes. L’un de ses avocats, Me Alex Ursulet, se souvient qu’au printemps 2001 la cour d’assise de Paris était bondée pour son procès. Une quinzaine de jeunes femmes ne manquaient pas une seule audience. Des filles « tout à fait normales » précise, lui aussi, le pénaliste. Certaines se précipitaient vers lui avant le début des débats pour lui remettre des lettres à destination de son client. « Je ne les lisais pas, précise-t-il, je ne sais pas ce qu’elles lui disaient, mais c’était des lettres d’amour, d’admiration. Je les remettais à Guy Georges. » Un jour, Me Ursulet lance à son client : « Vous avez un comité de soutien! » Réponse de Guy Georges : « Je sais, je les vois. » « Lui était conscient de leur présence, évidemment, poursuit Me Ursulet. Je me suis demandé parfois : “Mais elles, ces femmes, est-ce qu’elles entendent les débats ? Est-ce qu’elles entendent de quoi on parle ?” »
Pascale, 19 ans. Catherine, 27 ans. Elsa, 22 ans. Agnès, 33 ans. Hélène, 27 ans. Magali, 19 ans. Estelle, 25 ans. Il les a toutes tuées et a fini par le reconnaître au cours du procès. Le lendemain de ses aveux, le banc des admiratrices ne s’était pas clairsemé. « Il y a chez Guy Georges un côté très normal. Il est beau d’abord. Des yeux verts, des longs cils, il y a sans doute chez elles
un désir de le sauver », tente de comprendre Me Ursulet.
Pour les psychiatres qui se sont penchés sur ce phénomène dérangeant, il existe un nom : l’hybristophilie. Comme s’il s’agissait d’une maladie. Il s’agit de « l’attirance pour un individu qui a commis le pire ». « Ceci est très intrigant, reconnaît Daniel Zagury, le psychiatre qui a expertisé Guy Georges, Fourniret, Alègre… Beaucoup d’éléments s’additionnent, sans doute, pour expliquer le comportement de ces femmes. Il y a le plus basique, d’abord : l’attirance pour la transgression. Ces hommes sont en prison, les histoires sont donc sans danger véritable, épistolaires parfois, fantasmées et non vécues au quotidien. Il y a aussi une envie de notoriété, d’exceptionnel. » Et cette envie de transformer « le monstre ». « Ce désir de réparer un être abîmé est incroyablement puissant, souligne Zagury. Elles se disent : “Ce symbole du mal, je vais en faire un mec bien, je vais le purifier.”
Evidemment, il y a chez ses femmes une fragilité narcissique. En réparant l’autre, on se répare soi-même, on ne révèle pas sa propre vulnérabilité. »
Pour l’expert, tous les serial killers n’o rent pas forcément cette « place à la réparation ». Michel Fourniret, par exemple, n’a jamais attiré les femmes. Il y a eu Monique Olivier, certes, dont on connaît aujourd’hui le rôle dans son parcours meurtrier. Mais pas d’anonymes à ses procès ni de lettres d’admiratrices ou de visites au parloir. A Ensisheim (HautRhin), prison des très longues peines où Fourniret a longtemps été détenu, il n’avait pas de visiteurs, mis à part son fils. « L’ogre » restait enfermé dans sa cellule, à noircir des feuillets qu’il accrochait ensuite sur des fils à linge suspendus en travers de la pièce. Ses « Mémoires », expliquait-il, avant d’être transféré dans un autre établissement pour être entendu sur la disparition d’Estelle Mouzin.
Le « succès » de Guy Georges, en revanche, n’étonne guère Daniel Zagury. Le psychiatre l’a rencontré quatorze fois pour l’expertiser : « Ce n’est pas un bloc de granit. Il laisse passer une fragilité. » Emprisonné, comme Fourniret, à Ensisheim, Guy Georges est un détenu modèle. Il fait beaucoup de sport. Il apprend l’histoire des Etats-Unis, car il n’a pas perdu espoir de retrouver un jour son père, le GI afroaméricain qui l’a jadis abandonné pour rejoindre sa vraie famille en Amérique. Sociable, il est apprécié de ses pairs. Et son pouvoir de séduction n’a, semble-t-il, pas fléchi. C’est lui qui, de très loin, reçoit le plus de courriers parmi les 190 détenus. « Il en reçoit un peu moins aujourd’hui qu’il y a dix ans, témoigne un surveillant de la maison centrale, mais il a des groupies, c’est clair. Il a quasi en permanence une copine o cielle. » Cette dernière a donc le droit de venir le voir dans un parloir famille. Une jeune femme de 22 ans, étudiante en droit
et fille de médecin, l’a un temps fréquenté. Il serait aujourd’hui avec une trentenaire avec laquelle il aurait un projet de mariage, voire d’enfant. « Mais il a aussi des petites copines à côté, des femmes qui insistent pour venir le voir », poursuit le gardien. Ses visites au parloir se sont simplement interrompues pendant le confinement, Guy Georges ayant estimé qu’il était plus prudent d’attendre la fin de l’épidémie.
REGARDS NOIRS DES PARTIES CIVILES
Jane Eland, ancien mannequin, aujourd’hui veuve d’un homme d’affaires milliardaire, n’a jamais eu l’autorisation de rendre visite à Francis Heaulme. « Le routard du crime », reconnu coupable de 11 meurtres, n’a jamais eu de véritables prétendantes. Mais il a eu Jane. « Je n’étais pas amoureuse de lui, attention, n’écrivez pas cela, s’amuse cette dame aujourd’hui âgée, mais toujours aussi chic et excentrique. Amourachée, peut-être… Mais je voulais comprendre comment cet homme avait pu devenir un ennemi public avec son allure de gibier traqué. » Elle se souvient parfaitement de ce jour, à l’hiver 2000, où elle a vu pour la première fois dans un magazine ce visage barré d’un rictus – la faute à une mâchoire édentée – et ce regard vide. Elle lui écrit alors en prison. Il répond. Ils vont ainsi correspondre pendant huit années, et Jane publiera un livre, « Portrait d’un tueur ». Heaulme lui parle rapidement de ses « pépins » (ses crimes). Demande une photo d’elle. Insiste pour qu’à Metz, au procès de 2001, elle lui fasse un petit signe pour lui porter chance. « Vous me reconnaîtrez, j’aurai une chemise à manches courtes », lui indique-t-il benoîtement. Comme si elle pouvait le manquer… Malgré les regards noirs des parties civiles, Jane lui adresse un signe. Puis elle continue à lui envoyer de l’argent pour cantiner. « Il a eu autrefois des femmes qui lui écrivaient, oui, mais pas des amoureuses », se rappelle Liliane Glock, son avocate, qui continue de lui parler régulièrement, une ou deux fois par mois. Heaulme a aussi correspondu longtemps avec un tueur en série américain. Mais ce dernier est mort. Il ne lui reste donc que Jane, qui lui a
“JE N’ÉTAIS PAS AMOUREUSE DE LUI. AMOURACHÉE PEUT-ÊTRE…”
JANE ELAND
envoyé récemment un carnet de timbres, car « il adore cela », dit-elle. Jane, et sa soeur, la seule qui l’ait toujours soutenu.
Patrice Alègre a, lui, déposé une demande de libération conditionnelle l’année dernière. Il a purgé ses vingtdeux ans de sûreté, la loi l’autorise donc en théorie à aménager sa peine. Son avocat, Me Pierre Alfort, espère convaincre la chambre d’application des peines que son client a changé. La preuve, il a le projet de se marier avec Marie. La Canadienne a accepté de recevoir les psychiatres et experts chargés de se prononcer sur l’avenir de son compagnon. « Ils vont tout faire pour qu’il ne sorte pas, je le vois bien. Moi, je le soutiens jusqu’au bout. Je suis sûre à 150 % qu’il ne recommencera pas. Vous savez, Patrice a eu beaucoup de femmes dans sa vie, il a eu de vraies relations. Il ne les a pas toutes tuées. »
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(1) Le prénom a été modifié.
(2) « L’Amour (fou) pour un criminel », par Isabelle Horlans,
Editions du Cherche Midi.