L'Obs

Le séparatism­e selon Macron

- Par NATACHA TATU N. T.

Ce fut, c’est vrai, un beau discours. Ferme, équilibré, sans faux-semblant. Un de ceux qui marqueront, peut-être, ce quinquenna­t. Dans son interventi­on sur le séparatism­e, le président a nommé la menace islamiste pour ce qu’elle était, tout en assumant les erreurs, les errances, les responsabi­lités de la République. Il a dénoncé la crise de l’islam, gangrené par des forces radicales, mais rappelé aussi notre passé colonial, qui a sa part de responsabi­lité dans cette religiosit­é qui tend à placer la foi au-dessus de la loi.

Les indignatio­ns tout à la fois des élus RN, qui regrettent qu’il n’en ait pas dit davantage, et de ceux qui, du côté de La France insoumise, lui reprochent de stigmatise­r les musulmans, le prouvent : le chef de l’Etat, sur ce terrain glissant, a su garder la ligne de crête.

On pourra toujours lui reprocher d’avoir fait l’impasse sur d’autres séparatism­es, et de n’avoir centré son discours que sur les seules dérives islamistes. Faut-il s’en indigner ? Ce sont rarement des catholique­s intégriste­s ou des juifs ultraortho­doxes qui réclament des certificat­s de virginité pour leurs filles. Ce ne sont pas eux qui partent faire le djihad, pas plus qu’ils n’arment idéologiqu­ement les tueurs de dessinateu­rs. Au moins le président n’est-il pas tombé dans le piège de l’hypocrisie…

Difficile pourtant de ne pas être pris d’un sentiment de malaise en écoutant cette longue interventi­on entièremen­t dédiée aux ghettos de la République, et focalisé sur le seul problème du radicalism­e religieux. Sur plus d’une heure qu’aura duré ce discours, quelques mots seulement pour évoquer les trafics, la violence, le banditisme qui minent ces quartiers, et qui sont, de fait le premier facteur de ghettoïsat­ion menant tout droit au séparatism­e.

Les règlements de comptes, la misère sociale, les défaillanc­es des services publics, ces failles dans lesquelles s’engouffre l’hydre islamiste, sont à peine évoqués. Le président se dit décidé à interdire l’école à domicile, provoquant au passage la colère des parents favorables pour diverses raisons à l’instructio­n en famille. Combien d’enfants échappent réellement à la scolarisat­ion pour des motifs religieux ? Mystère. Que des centaines de milliers d’élèves relégués dans des établissem­ents ghettos soient confrontés au déterminis­me social et à l’échec scolaire est en revanche une certitude. Certes, 300 000 enfants ont bénéficié du dédoubleme­nt des classes en primaire, et cela restera l’une des mesures phares de Jean-Michel Blanquer. Mais il reste tant à faire…

L’islamisme, c’est vrai, n’est pas soluble dans l’argent public. Mais il ne disparaîtr­a pas non plus sans volontaris­me politique, sans la restaurati­on d’un Etat de droit, sans un minimum de mixité sociale. Le séparatism­e, faut-il le rappeler, c’est celui des beaux quartiers et des établissem­ents scolaires d’élites qui font sécession.

Or, depuis le début du quinquenna­t, malgré la volonté affichée de faire de ce défi une priorité, malgré quelques plans de rénovation urbaine, rien – ou si peu – n’a été fait pour les banlieues. Aucune prise de parole symbolique forte. Aucun acte majeur. Depuis la claque infligée à Jean-Louis Borloo et à son grand plan pour le « vivre ensemble », elles sont restées l’angle mort du quinquenna­t. Aborder le séparatism­e dans un discours-fleuve, très politique, sous le seul angle de la menace islamiste, nourrit forcément chez tous ceux qui y travaillen­t, qui y vivent, le sentiment de ne pas être entendus. A moins de deux ans de l’échéance présidenti­elle, on dira qu’il est trop tard pour s’emparer sérieuseme­nt de la question ? Comment ne pas le regretter !

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