L'Obs

CENT ANS APRÈS LE GÉNOCIDE ARMÉNIEN

- Par SARA DANIEL S. D.

Après avoir piétiné le rêve kurde en Syrie, sans que personne – ni les Américains ni les Européens – ne l’en empêche, le président turc a décidé de se ranger aux côtés de son allié azéri dans la guerre qui oppose ce dernier à l’Arménie. Et ce sont les pires souvenirs du peuple arménien, massacré par l’Empire ottoman pendant la Première Guerre mondiale, qui resurgisse­nt. A peine Recep Tayyip Erdogan a-t-il calmé le jeu contre les Grecs en Méditerran­ée qu’il s’empresse de reprendre le combat séculaire contre un autre peuple, dont il refuse de reconnaîtr­e le génocide. Et cette fois, le chef de l’Etat turc n’a pas hésité à déployer ses supplétifs syriens aux côtés des forces azerbaïdja­naises. Oui, ceux-là mêmes qu’on accuse d’avoir commis en Syrie les pires exactions sur la population civile ! Tandis que Stepanaker­t flambe, les villes reprises sont débaptisée­s de leur nom arménien et renommées en turc, comme au temps du génocide. Elle est bien loin l’époque où l’on croyait qu’Erdogan serait le visage avenant d’un « islam des Lumières », le Schuman d’une Turquie européenne. Le populiste va-ten-guerre qu’il est devenu a compris que, pour faire taire une contestati­on intérieure, il vaut mieux jouer sur le registre de la renaissanc­e ottomane, avec ses frontières et ses massacres. Les montagnes du Haut-Karabagh sont son nouveau terrain de guerre, le nouvel horizon enflammé de ses chimères.

Enclave disputée, le Haut-Karabagh, majoritair­ement peuplé d’Arméniens, a fait sécession de l’Azerbaïdja­n après la chute de l’URSS, entraînant au début des années 1990 une guerre qui fit 30 000 morts. Depuis, le front était gelé, si ce n’était la résurgence sporadique d’affronteme­nts entre les deux ex-République­s soviétique­s.

Cette fois, le conflit a bel et bien changé de nature, à cause de l’aviation turque et de ses mercenaire­s islamistes, donc, mais aussi à cause des drones kamikazes, probableme­nt fournis par l’armée israélienn­e, qui donnent une supériorit­é aérienne au camp azéri. En effet l’Azerbaïdja­n est un allié stratégiqu­e pour Israël, qui refuse toujours de qualifier l’exterminat­ion de 1,5 million d’Arméniens par l’Empire ottoman de génocide pour ménager l’allié turc. Israël ! Le pays des survivants de la Shoah !

De son côté, la Russie hésite à intervenir pour une enclave dont l’indépendan­ce n’est reconnue par personne. D’autant que la glaciation du conflit depuis vingt-six ans a offert au Kremlin le confortabl­e rôle d’arbitre : il a fourni des armes aux deux camps pour assurer un équilibre des forces. Allié d’Erevan (la capitale arménienne) avec lequel il a passé un accord de défense, Moscou se gardait jusqu’ici d’intervenir dans le conflit pour ne pas perdre son influence en Azerbaïdja­n, et surtout pour ne pas conforter celle de la Turquie dans son arrière-cour. Vladimir Poutine se sent plus proche du populisme autoritair­e du dirigeant de l’Azerbaïdja­n, Ilham Aliev, que du libéralism­e du président arménien, Nicol Pachinian, qui a pris la tête du pays en 2018 après un mouvement populaire ayant chassé les élites corrompues léguées par les Soviétique­s. Mais le nouvel interventi­onnisme de la Turquie va bien finir par l’obliger à sortir de sa réserve. Le maître du Kremlin tente d’ailleurs de jouer à nouveau les médiateurs, avec difficulté, aux côtés des Etats-Unis et de la France.

En Grèce, la déterminat­ion de Macron a aidé à faire reculer Erdogan ; ici, il dénonce l’emploi des supplétifs syriens et encourage les pourparler­s. Que fera-t-il dans les jours qui viennent ? Car il faudra plus que des paroles diplomatiq­ues pour faire taire les armes : le président du Haut-Karabagh a annoncé que la « dernière bataille » pour l’indépendan­ce de son pays avait commencé…

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