CENT ANS APRÈS LE GÉNOCIDE ARMÉNIEN
Après avoir piétiné le rêve kurde en Syrie, sans que personne – ni les Américains ni les Européens – ne l’en empêche, le président turc a décidé de se ranger aux côtés de son allié azéri dans la guerre qui oppose ce dernier à l’Arménie. Et ce sont les pires souvenirs du peuple arménien, massacré par l’Empire ottoman pendant la Première Guerre mondiale, qui resurgissent. A peine Recep Tayyip Erdogan a-t-il calmé le jeu contre les Grecs en Méditerranée qu’il s’empresse de reprendre le combat séculaire contre un autre peuple, dont il refuse de reconnaître le génocide. Et cette fois, le chef de l’Etat turc n’a pas hésité à déployer ses supplétifs syriens aux côtés des forces azerbaïdjanaises. Oui, ceux-là mêmes qu’on accuse d’avoir commis en Syrie les pires exactions sur la population civile ! Tandis que Stepanakert flambe, les villes reprises sont débaptisées de leur nom arménien et renommées en turc, comme au temps du génocide. Elle est bien loin l’époque où l’on croyait qu’Erdogan serait le visage avenant d’un « islam des Lumières », le Schuman d’une Turquie européenne. Le populiste va-ten-guerre qu’il est devenu a compris que, pour faire taire une contestation intérieure, il vaut mieux jouer sur le registre de la renaissance ottomane, avec ses frontières et ses massacres. Les montagnes du Haut-Karabagh sont son nouveau terrain de guerre, le nouvel horizon enflammé de ses chimères.
Enclave disputée, le Haut-Karabagh, majoritairement peuplé d’Arméniens, a fait sécession de l’Azerbaïdjan après la chute de l’URSS, entraînant au début des années 1990 une guerre qui fit 30 000 morts. Depuis, le front était gelé, si ce n’était la résurgence sporadique d’affrontements entre les deux ex-Républiques soviétiques.
Cette fois, le conflit a bel et bien changé de nature, à cause de l’aviation turque et de ses mercenaires islamistes, donc, mais aussi à cause des drones kamikazes, probablement fournis par l’armée israélienne, qui donnent une supériorité aérienne au camp azéri. En effet l’Azerbaïdjan est un allié stratégique pour Israël, qui refuse toujours de qualifier l’extermination de 1,5 million d’Arméniens par l’Empire ottoman de génocide pour ménager l’allié turc. Israël ! Le pays des survivants de la Shoah !
De son côté, la Russie hésite à intervenir pour une enclave dont l’indépendance n’est reconnue par personne. D’autant que la glaciation du conflit depuis vingt-six ans a offert au Kremlin le confortable rôle d’arbitre : il a fourni des armes aux deux camps pour assurer un équilibre des forces. Allié d’Erevan (la capitale arménienne) avec lequel il a passé un accord de défense, Moscou se gardait jusqu’ici d’intervenir dans le conflit pour ne pas perdre son influence en Azerbaïdjan, et surtout pour ne pas conforter celle de la Turquie dans son arrière-cour. Vladimir Poutine se sent plus proche du populisme autoritaire du dirigeant de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliev, que du libéralisme du président arménien, Nicol Pachinian, qui a pris la tête du pays en 2018 après un mouvement populaire ayant chassé les élites corrompues léguées par les Soviétiques. Mais le nouvel interventionnisme de la Turquie va bien finir par l’obliger à sortir de sa réserve. Le maître du Kremlin tente d’ailleurs de jouer à nouveau les médiateurs, avec difficulté, aux côtés des Etats-Unis et de la France.
En Grèce, la détermination de Macron a aidé à faire reculer Erdogan ; ici, il dénonce l’emploi des supplétifs syriens et encourage les pourparlers. Que fera-t-il dans les jours qui viennent ? Car il faudra plus que des paroles diplomatiques pour faire taire les armes : le président du Haut-Karabagh a annoncé que la « dernière bataille » pour l’indépendance de son pays avait commencé…