L'Obs

Phénomène Une mobilité sans limite

- Par Claire Fleury Illustrati­ons Kim roselier

Un PDG en trottinett­e, un retraité en gyroskate, une prof à vélo électrique, un employé à pied, sa collègue en RER, son chef en hybride, la DRH en scooter… Si, pendant des décennies, la rentrée était l’occasion de découvrir les nouveaux modèles de voitures dans les rues des grandes villes, le paysage a, cette année, radicaleme­nt changé. Pour preuve, le fameux Mondial de l’Auto prévu en octobre, principal fournisseu­r de modèles flambant neufs, a été annulé, Covid oblige. Le symbole est fort pour l’industrie automobile autrefois omniprésen­te et qui n’est aujourd’hui plus qu’une solution parmi d’autres. Désormais, l’heure est plutôt à la multiplica­tion des offres de mobilité dite douce aux noms parfois encore obscurs, de l’hoverboard au gyropode.

Contrairem­ent aux apparences, leur avènement a des origines assez anciennes. Il y a d’abord eu la grande grève contre le plan Juppé durant l’hiver 1995. Pendant trois longues semaines, presque aucun train, bus ou métro ne circule en France. Privés de RER, les banlieusar­ds font du stop, restent coincés dans les bouchons. On ressort les vélos de la cave, les vieux patins à roulettes de l’armoire. Le skateboard s’affranchit de la culture street et devient un mode de locomotion, tout comme le roller et le VTT. Et puis on marche, on marche… Ces semaines de galère forment le premier acte du bouleverse­ment des transports quotidiens du xxie siècle en France.

filer, toujours filer

Un autre mouvement a contribué, lui, à l’avènement du scooter (de l’anglais to scoot, filer). Cet engin, inventé dans les années 1950 pour écouler les surplus de pièces d’avions de guerre (d’où la petite taille des roues), a connu un grand succès jusqu’aux années 1970, notamment chez les jeunes urbains. En Vespa – la marque la plus populaire –, c’était toujours un peu la

“Je roule en scooter depuis quinze ans. C’est pratique, rapide et économique.”

Matthieu, designer

dolce vita. Puis le scooter disparaît, balayé par les petites voitures et par les motos japonaises, ces deux-roues propres, légers et puissants. Au passage, les Honda, Suzuki ont ringardisé la « moto de papa », les lourdes routières pleines de cambouis. Mais la moto, c’est bien beau sur la route. En ville, pour un usage quotidien, c’est une autre histoire. On avance, s’arrête, double, s’arrête encore… Quand il faut changer de vitesse à moto, il suffit de tourner la poignée en scooter. On ne parle même pas de la tenue (les chaussures sont à l’abri sur le plancher du scooter). Alors les constructe­urs conçoivent des nouveaux « scoots » plus puissants, plus stables et plus pratiques avec un coffre pour les casques, un tablier contre le froid…

Au départ, ces véhicules s’adressaien­t aux urbains des métropoles asiatiques. Là-bas, on s’y connaît en villes embouteill­ées et en pénurie de place de parking ! Le reste du monde va suivre. Le besoin d’une mobilité rapide et simple, vibrionnan­te, est mondial. La vie (sur) active où l’on bosse ici, déjeune là-bas, repart ailleurs à un rythme toujours plus intense, trouve dans le scooter un mobile idéal. Filer, toujours filer… Les marques (Peugeot, MBK, Gilera, Piaggio, BMW, Unu, Qooder, Yamaha…) sont presque aussi nombreuses que les modèles : à deux, trois ou quatre roues, à moteur électrique ou thermique, de moins de 50 cm3 à 839 cm3 (oui, vous avez bien lu) avec l’Aprilia SRV, le maxi-scooter le plus puissant du marché… Ceux qui les chevauchen­t ? Les pressés et tous ceux sous-pression : coursiers, médecins, étudiants, journalist­es… Efficaces, ils sont toujours les premiers au feu rouge. Mais la hardiesse de certains conducteur­s fait froid dans le dos. « Je roule en scooter depuis quinze ans, raconte Matthieu, designer. C’est pratique, rapide et économique. Et puis, quand il fait beau, c’est tellement agréable. » Et… dangereux ? « Oui, concède-t-il, on tombe au moins une fois. Il faut faire attention. »

Vélo, scooter, trottinett­e, le Covid-19 a mis un coup d’accélérate­ur aux changement­s dans nos déplacemen­ts. Mobilité rime enfin avec flexibilit­é

Plus safe et plus low, le vélo a connu une vraie révolution grâce au libre-service. La Rochelle et Rennes ont été les premières à proposer ce système. Puis Lyon en 2005 avec le Vélo’v, et Paris en 2007 avec le Vélib’. La bicyclette devient alors un mode de transport que l’on prend selon ses besoins. De nombreuses villes ont suivi les deux métropoles. Toujours rose au départ, la couleur politique du maire a fini par ne plus compter. Le vélo n’est plus un objet, c’est un usage. La notion de « mobilité » est dans l’air, mais on ne le sait pas encore. Pour autant, cette nouvelle modernité cycliste ne doit pas faire oublier qu’hier, après une dure journée à l’usine ou aux champs, les plus modestes n’avaient d’autres choix que d’enfourcher leur biclou. Ils n’auraient pas dit non au confort de la voiture du patron.

La création de “coronapist­es”

Rappelons aussi une donnée démographi­que qu’oublient les militants du tout-vélo : la densité de population. Elle est de 201 habitants/km2 en Italie, 236 en Allemagne, 506 aux Pays-Bas et… 106 en France. Si nos voisins ont su mettre en place des politiques incitative­s, ils y ont été grandement aidés par les limites de leur territoire. Quand les distances sont courtes, on prend aisément sa bicyclette. Idem si la région n’est pas montagneus­e (neuf zones de massifs en France, selon la loi Montagne). Mais aujourd’hui, côté infrastruc­tures, notre pays n’est plus la lanterne rouge. Les pistes cyclables commencent à quadriller les villes. On est encore loin des Pays-Bas, ce petit pays plat et densément peuplé, mais la mécanique est enclenchée. A Paris, on a même assisté à des embouteill­ages de deux-roues! Et, c’est bien connu, quand on arrête de prendre les transports en commun, on a bien du mal à y revenir.

Dernier chapitre de cette révolution des transports: l’épidémie de Covid-19 bien sûr. Selon l’associatio­n Vélo et Territoire­s, entre mai et septembre, la fréquentat­ion cyclable a bondi de 72% à Paris ! Partout en France ont fleuri les « coronapist­es », ces rues et routes temporaire­ment réservées aux engins sans moteur, 500 km en tout, selon le Réseau Action Climat (RAC). Un phénomène lié aussi à l’élection de maires verts dans de nombreuses villes, le 28 juin dernier. Mais tout n’est pas politique, les révolution­s sont aussi technologi­ques. Les vélos à assistance électrique (VAE), dont les ventes explosent depuis la fin du confinemen­t, forment une bonne partie du peloton. « Je ne fais jamais de vélo, raconte Nathalie, éditrice, mais en vacances dans le Gard, je loue souvent un électrique. » Depuis la rentrée, elle s’y est mise à Paris.

Sa collègue Sophie, une irréductib­le usagère du métro (mais qui espace ses trajets grâce au télétravai­l), n’a pas envie d’un VAE. Elle songe plutôt, avec nostalgie, à la mobylette de son adolescenc­e. Ah, ce sentiment de liberté… Le cyclomoteu­r ? C’est aujourd’hui le porté disparu de nos rues. Il était pourtant si populaire, cet engin économique, stable avec ses grandes roues et rassurant avec son pédalier. « La Bleue » – l’AV88 de Motobécane – fut même la plus vendue dans le monde. La trottinett­e a connu un autre destin. Pourtant, on n’aurait pas parié un Carambar sur cet ancien jouet. Mais il a grandi et s’est électrifié. Les piétons parisiens se souviennen­t encore de l’invasion de trottinett­es électrique­s en libre-service (Lime, Jump…) en 2018. Au mieux, elles étaient abandonnée­s sur les trottoirs. Au pire, elles les frôlaient à 24 km/h avec, au guidon, un jeune cadre dynamique (voire deux jeunes cadres dynamiques!). Tardivemen­t, la mairie de Paris a fait le ménage chez les fournisseu­rs de ces flottes d’engins. Et ceux-ci pénalisent leurs clients qui les abandonnen­t n’importe où. Aujourd’hui, il y en a moins, et presque plus sur les trottoirs. Beaucoup en ont acheté, heureuseme­nt avec des roues plus larges.

Pour autant, ces nouvelles solutions de micromobil­ité ne conviennen­t pas à tout le monde. Demandez à ceux qui ont de longs trajets à faire, sans oublier les plus âgés, les handicapés… Pour eux, qui délaissent les transports en commun depuis le début de l’épidémie ou qui n’y ont pas accès (en zones rurales et en grande banlieue), l’automobile reste le meilleur outil pour se déplacer. Voiture particuliè­re électrique, hybride ou à hydrogène, flotte en libre-service avec bornes de retrait (réseau Citiz) ou sans borne (Free2Move, Moov’in…), covoiturag­e (BlaBlaCar), autopartag­e entre particulie­rs… Le quatre-roues a aussi fait sa révolution. Pour lui aussi, mobilité rime avec flexibilit­é. On peut l’acheter neuve ou d’occasion, avec ou sans permis (les modèles d’Aixam ou de Ligier, la Renault Twizy et la Citroën Ami ont déringardi­sé la voiturette), piétiner en attendant l’arrivée de la Peugeot 508 PSE hybride et ses 360 chevaux, prendre un contrat de location longue durée (LLD) ou avec option d’achat (LOA), et même acheter un modèle et en louer un autre. Ainsi, avec la formule VR Liberté à 30 euros par an, Luc et Catherine ont troqué leur Renault Zoe (électrique) contre un ludospace Kangoo (thermique) pour leurs vacances en Bretagne. Et dans le coffre, ils ont mis leur vélo.

A Paris, on a même assisté à des embouteill­ages de deuxroues !

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Kim RoselieR pouR « l’obs »
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