Linda Kebbab
Elle est l’une des rares femmes syndicalistes de la police et a su s’imposer sur les plateaux télé. Dans un livre*, elle défend ses collègues, mais n’épargne pas son ministère
1 VAULX EN VELIN
Née en 1981 de parents algériens, Linda Kebbab grandit dans une cité HLM de Vaulx-en-Velin, en banlieue lyonnaise. Père éboueur, mère au foyer et investie dans les associations.
« C’est dans la simplicité chaleureuse de ces quatre murs que j’apprends à aimer ce que je reçois ; mais aussi à aller chercher ce que l’absence d’une bonne naissance ne permet pas d’avoir », écrit-elle.
2 JOURNALISME
Ado, elle se rêve grand reporter en zones de conflit. Elle commence à apprendre l’anglais, l’arabe, le russe. Au lycée, une conseillère d’orientation tente de la dissuader : « Vous comprenez, c’est compliqué, un bac L, pour vous. […] Vous ne parlez pas français à la maison, alors… » Qu’importent ces préjugés, elle obtient son bac L. « Je ne me suis jamais dit “le système ne veut pas de moi”, je ne me suis jamais vue comme une victime. » Le décès prématuré de sa mère la contraindra cependant à remiser ses rêves de journalisme.
3 ACCIDENT
En vacances en Algérie, sa mère veut organiser une grande fête pour célébrer son diplôme. Au retour des courses, elle trouve la mort dans une sortie de route vraisemblablement provoquée par un camion venant dans le sens inverse. Des témoins évoquent une étrange trajectoire, un coup de volant anormal. « Le conducteur de camion [qui ne s’est pas arrêté, NDLR] n’a-t-il pas supporté de voir une femme au volant d’une voiture immatriculée en France? » se demande-t-elle toujours.
4 DEVOIR DE RÉSERVE
Son franc-parler suscite régulièrement des crispations dans la hiérarchie policière. En novembre 2019, Christophe Castaner appelle Yves Lefebvre, le secrétaire général d’Unité
SGP Police, pour se plaindre de sa déléguée nationale. Le ministre agite la menace d’une enquête de l’Inspection générale de la Police nationale. En réponse, le syndicaliste parle d’une manifestation devant l’IGPN en cas d’enquête. L’incident en restera là.
5 DÉCLIC
Mère à 22 ans d’une petite fille, Linda Kebbab travaille dans une société lyonnaise d’import-export de textile quand des policiers interviennent un soir chez un voisin à la suite de violences conjugales. « J’observe la scène, j’admire leur calme et leur fermeté. » C’est le déclic. « Un peu comme journaliste, je me dis que voilà un métier où je pourrais être utile à la société. » Dès le lendemain, elle entame les démarches pour devenir policière.
6 MENACES
En première ligne du front médiatique depuis la crise des « gilets jaunes », la gardienne de la paix est la cible régulière d’insultes et de menaces sur les réseaux sociaux, et parfois même dans la rue. Traitée d’« Arabe de service » en juin dernier par le journaliste-militant (ou militantjournaliste) Taha Bouhafs, elle a porté plainte. « Un policier me racontait récemment s’être fait traiter de raciste par des bobos parisiens avant d’être remercié le lendemain par des parents de gamins de cité. »
7 VIOLENCES POLICIÈRES ?
Linda Kebbab se refuse à employer l’expression : « Associer le mot “violences” à celui de “policiers” laisse croire que ce métier nous prédispose aux déchaînements de toutes sortes. » Déni ? « Les mêmes qui stigmatisent les policiers nous parlent par ailleurs de nécessaire contextualisation, de refus des amalgames, d’individualisation des peines. Si je comprends bien, c’est valable pour tout le monde sauf pour les policiers. On a une dispense spéciale? » rétorque-t-elle.
8 VOITURE
Après l’école de police, elle demande à être mutée à Créteil. Son salaire d’élèvegardienne de la paix ne lui permet pas alors de trouver un appartement dans le parc privé. Quant aux logements de fonction, ils sont soit délabrés soit réservés aux officiers. Pendant trois mois, elle dormira dans sa voiture garée devant le commissariat, prenant sa douche chaque matin dans le vestiaire. Un des épisodes fondateurs dans son engagement syndical depuis dix ans.
9 POLITIQUE DU CHIFFRE
« C’est une régression », dit-elle. Lorsqu’elle était gardienne de la paix, elle avait été appelée pour des dégradations sur une vingtaine de voitures dans un parking. Grâce à la vidéosurveillance, les trois auteurs des faits avaient été rapidement interpellés. Une affaire résolue? Non, vingt. Son supérieur avait comptabilisé une procédure pour chaque propriétaire de véhicule. « Nous ne sommes pas là pour remplir des objectifs commerciaux. »
10 THINK TANK
Depuis plusieurs mois, Linda Kebbab travaille au lancement d’un think tank sur les questions de sécurité. Une manière de se faire enfin entendre place Beauvau sur les questions opérationnelles et techniques, dit-elle. Frédéric Péchenard, l’ancien DG de la police nationale, Jean-Michel Fauvergue, ex-patron du
Raid aujourd’hui député LREM, Bruno Pomart, autre ancienne figure du Raid, sont partants pour intégrer ce laboratoire d’idées. (*) « Gardienne de la paix et de la révolte », Stock, en librairies.