L'Obs

“C’est devenu compliqué de sampler”

- PROPOS RECUEILLIS PAR FABRICE PLISKIN

Le rap, c’était mieux avant, à l’époque où le sample était gratuit ?

C’est devenu très compliqué de sampler. On n’est pas tous égaux devant ça. Aux Etats-Unis, des rappeurs comme Jay-Z ou Rick Ross ont les moyens de payer 35 000 dollars pour utiliser un sample. Le compositeu­r John Williams a refusé de nous laisser sampler « la Marche impériale » de « Star Wars » alors que lui-même avait détourné la « Marche funèbre » de Chopin dans ce qui n’était pas loin d’un plagiat. Mais le sample n’est pas reconnu comme un art. On sent ça comme une forme d’injustice culturelle : ceux qui ont appris le solfège et à jouer d’un instrument de musique peuvent rejouer le segment, mais nous, si nous samplons un morceau pour retrouver l’atmosphère d’un disque de soul des années 1970, on s’expose à des poursuites… Heureuseme­nt, tous les musiciens ne s’appellent pas

John Williams. On a eu des moments heureux. Quand on a samplé la musique du manga « Naruto », qui a fait dix fois le tour du monde, le compositeu­r japonais nous a donné son accord.

Pour « Tam-tam de l’Afrique », Stevie Wonder nous a donné l’autorisati­on de sampler sa chanson « Pastime Paradise ». Pour « Tu le sais », James Brown, sur son lit d’hôpital, nous a donné la sienne pour utiliser « Take Me Just as I Am ». Aux Etats-Unis, la législatio­n n’est pas la même qu’en France : il n’y a pas de droit moral. En France, vous pouvez vendre ne serait-ce que deux exemplaire­s de votre disque, si vous avez samplé dessus, vous pouvez vous retrouver à devoir payer

40 000 euros de dommages et intérêts, au nom du seul droit moral. Dans votre livre, vous ne les samplez pas, mais vous rendez hommage à Rimbaud et Verlaine que certains aspirent à panthéonis­er.

Le rap, c’est de la poésie scandée. « Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse / S’élancer vers les champs lumineux et sereins. » Ces vers de Baudelaire, je me les suis répétés des dizaines et des dizaines de fois, quand ça n’allait pas dans ma vie. Un vers aérien à ne pas confondre avec ce que vous appelez « le style de la mouette».

Dans la chaîne alimentair­e, la mouette est l’animal le plus opportunis­te qui soit. Tout le monde parle des rats. Mais nous, on a au-dessus du rat. Les mouettes peuvent tuer des rats et les bouffer. Une fois, dans la calanque de Sugiton, elles m’ont carrément attaqué. Elles ont même inspiré certaines figures d’arts martiaux. Dans notre jeunesse, on a donc créé « le style de la mouette » : manger tout ce qui est à notre portée et se jeter à cinq sur trois gâteaux. C’est ce qu’on a fait, en 1990, quand on a déboulé au buffet VIP après le concert de Madonna, à Bercy, dont on faisait la première partie ; au milieu des gens bien propres sur eux, dix morts de faim qui se précipiten­t sur la bouffe…

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