Toi l’Auvergnate
Dans “Histoire du fils”, Marie-Hélène Lafon raconte l’histoire d’un garçon sans père, dans son Cantal natal HISTOIRE DU FILS, PAR MARIE-HÉLÈNE LAFON, BUCHET-CHASTEL, 176 P., 15 EUROS.
De Mathias Enard à Claro, en passant par les jurés des prix Renaudot, Femina et Giono, Marie-Hélène Lafon ne manque pas d’admirateurs. C’est sans doute parce qu’elle ne fait pas grand-chose pour plaire. C’est une romancière qui ne la ramène pas. Voilà bientôt vingt ans que cette prof de lettres née dans une famille de paysans du Cantal, grande lectrice de Flaubert et de Pierre Michon, préfère ciseler discrètement une oeuvre enracinée dans sa région : une Auvergne rurale, rustique, peuplée de vies minuscules et de taiseux qui affrontent comme ils peuvent l’âpreté de l’existence.
Avec « Histoire du fils », ça ne rate pas. Tout commence le 25 avril 1908, quand « les pieds nus » d’un enfant « glissent sur le parquet » d’une maison encore endormie, dans un village nommé Chanterelle. La suite évoque la cuisson des confitures de prunes dans une bassine de cuivre, les « aboiements de chaque chien du bourg », un accident domestique qui laissera peut-être des traces terribles. Lesquelles ? On verra plus tard. Car « Histoire du fils » nous emmène déjà au coeur de l’hiver 1919, au lycée d’Aurillac, où un pensionnaire se « débat » avec « la première “Bucolique” », avant d’être accueilli à l’infirmerie par la voix, « chaude et granuleuse », d’une attirante trentenaire en « uniforme blanc ». Mais nous voilà bientôt en 1950, 1934, 1923, 1984, et jusqu’en 2008, au gré des chapitres de ce kaléidoscope narratif où il est question de deux guerres mondiales, des lointains mystères de Paris, et, surtout, du secret qui pèsera longtemps sur le « fils » du titre, né de la liaison illicite du lycéen et de l’infirmière, de « père inconnu et mère à doublefond ». Avec une matière pareille, beaucoup auraient brodé une fresque familiale galopant sur un siècle d’histoire de France. Lafon fait le contraire : une saga miniaturisée, atomisée façon puzzle pour dire, à coups d’ellipses, les effets obliques d’un secret de famille. L’émotion, elle, se cache entre les lignes. Sans chercher à plaire.