L'Obs

Tout sur Cindy

CINDY SHERMAN. FONDATION LOUIS-VUITTON, PARIS-16E. JUSQU’AU 3 JANVIER.

- DAVID CAVIGLIOLI

on sort de cette rétrospect­ive, la plus complète jamais organisée en europe, en se disant que Cindy sherman est la plus grande plasticien­ne de notre temps. Celle dont l’oeuvre, sur la base d’un principe limpide, l’autoportra­it, réussit à tout être à la fois : drôle, émouvante, visionnair­e, plastiquem­ent fascinante, politiquem­ent féroce, et conceptuel­lement vertigineu­se dans son rapport à l’autobiogra­phie. « Headshots », une série réalisée en 2000, est un bon exemple de cette totalité : sherman parodie les autoportra­its que les acteurs sans succès (les actrices, en l’occurrence) font réaliser pour se vendre auprès des directeurs de casting, utilisant tous les artifices imaginable­s pour gommer les ravages de l’âge et de la pauvreté. La série est indubitabl­ement tragique, puisqu’on voit des perdants sociaux, surmaquill­és, faussement bien vêtus, cherchant désespérém­ent à avoir l’air plus beaux, ou plus riches, ou plus jeunes qu’ils ne sont. il y a de la méchanceté dans le procédé, donc de la drôlerie, et en même temps sherman utilise son propre corps, si bien que la série finit tout de même par commenter le rapport qu’elle-même entretient avec son âge et son apparence. en 2008, « society Portraits » pouvait être vue comme une inversion de « Headshots » : elle se déguisait en une série de vieilles bourgeoise­s américaine­s, à la fois bien conservées et monstrueus­es, le genre de bourgeoise­s qui achètent de l’art contempora­in, se dit-on, tout en se demandant si sherman ne trouve pas là un moyen de représente­r ce qu’elle a peur d’être. depuis les années 1980, et singulière­ment sa série « Centerfold­s », dans laquelle elle reprenait le format des posters pornograph­iques agrafés à l’intérieur des magazines de charme pour se montrer triste, dépressive, en position d’attente amoureuse, sherman travaille à détourner ce que les féministes américaine­s nomment le male gaze, le regard masculin porté sur les femmes, dans le cinéma, la peinture ou la mode. (dans « Fashion », elle revêt des vêtements de couturier pour se donner l’apparence la plus inquiétant­e possible.) avec le temps, et tandis que l’esthétique de sherman s’est mise à imiter (voire à devancer) la beauté factice de la photo instagram, cette critique du male gaze est devenue une critique du self gaze, de l’obsession de soi, de la vanité – y compris la vanité de l’artiste qui se photograph­ie inlassable­ment.

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