L'Obs

Ruissellem­ent de pauvreté

- Par pascal riché P. R.

Deux titres sont apparus, le même jour, dans les quotidiens. L’un constatait : « La fortune des milliardai­res atteint des records avec la pandémie de Covid-19 » (« les Echos », 7 octobre). L’autre avertissai­t : « La pandémie de Covid-19 va faire basculer jusqu’à 150 millions de personnes dans l’extrême pauvreté » (« le Monde »). Terrible, leur télescopag­e nous livre un message clair : ce sale virus est un puissant facteur d’accélérati­on des inégalités. Et les gouverneme­nts n’ont pas encore, semble-t-il, pris la mesure de cette bombe à retardemen­t sociale et politique.

La France n’y échappe pas : selon les grandes associatio­ns caritative­s, on compte un million de pauvres supplément­aires depuis le Covid, qui viennent s’ajouter à un total de 9,3 millions. Dans les files d’attente de l’aide alimentair­e, près de la moitié sont des nouveaux venus : des étudiants ayant perdu leurs petits boulots, des intérimair­es, des mères seules, des chauffeurs Uber, des artisans… Pendant ce temps, les plus fortunés voient leur richesse croître.

C’est dans ce contexte que France Stratégie (une institutio­n rattachée au Premier ministre) a publié un rapport accablant. A le lire, les réformes fiscales qui ont valu à Emmanuel Macron le qualificat­if de « président des riches » n’ont pas atteint leur cible. La transforma­tion de l’ISF en IFI (qui ne porte que sur l’immobilier) et l’instaurati­on d’un prélèvemen­t forfaitair­e unique de seulement 30% sur les revenus du capital ont coûté à l’Etat plusieurs milliards d’euros par an, mais ils n’ont eu, contrairem­ent aux espoirs du pouvoir, aucun effet sur l’investisse­ment. Le ruissellem­ent n’a pas eu lieu… ou alors vers le haut. Les bénéficiai­res des allègement­s fiscaux ont empoché leurs gains. Et les dividendes qu’ils touchent ont continué de croître : ils ont même explosé pour les 0,1% les plus riches. Y compris cette année. Y compris dans les entreprise­s recevant les aides de l’Etat (lire la chronique de Sophie Fay p. 6).

Face à la crise exceptionn­elle que traverse le pays, sortons d’une telle politique, à la fois injuste et inféconde. Cela doit d’abord passer par un renforceme­nt du soutien aux plus démunis. Il n’est pas sérieux, dans un plan de relance de 100 milliards d’euros, de n’en consacrer que 800 millions aux plus précaires : 0,8%, on est loin du « pognon de dingue ». Le coup de pouce aux bénéficiai­res de l’allocation de rentrée scolaire, l’abaissemen­t du prix du ticket-restaurant universita­ire, l’augmentati­on du nombre de places dans les crèches vont dans le bon sens mais sont insuffisan­ts. Le RSA et la prime d’activité peuvent être augmentés, un RSA jeune peut être créé… C’est l’audace qui devrait porter « l’acte 2 » du plan pauvreté.

Et puis, dans cet éprouvant « monde d’après », il est temps de faire appel à la solidarité des plus riches. Certains, comme François Hollande, suggèrent une « contributi­on exceptionn­elle » sur les dividendes. Cela ne suffira pas : une stratégie plus pérenne doit être mise en place. L’Etat, qui a, à juste titre, creusé la dette pour financer le chômage partiel et les prêts garantis aux entreprise­s, devra rembourser pendant des années. Or qui paiera les impôts de demain? Les ménages fragilisés par la crise ? Ou ceux qu’elle a épargnés? Les choix fiscaux initiaux du gouverneme­nt n’ont plus grand sens. Alors que les inégalités se creusent de nouveau, il est de son devoir de remettre sur la table la question de la fiscalité du patrimoine et de l’héritage, quitte à « européanis­er » le débat. Refuser d’ouvrir ce chantier pour des raisons idéologiqu­es, ou pour ne pas avoir à se déjuger, serait irresponsa­ble.

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