L'Obs

Cabrel sur canapé

A 66 ans, le chanteur de “PETITE MARIE” sort son quatorzièm­e album, où il est question de SENSUALITÉ féminine, de son père et de JACQUES DUTRONC. Rencontre

- Par SOPHIE DELASSEIN Voir aussi notre entretien avec Francis Cabrel sur nouvelobs.com

CD : A l’aube revenant (Columbia) Sortie le 16 octobre. CONCERT : du 5 au 15 novembre aux Folies Bergère, Paris-9e.

« Sur mon grand canapé, allongé sous la Lune, j’avais les bras croisés, j’attendais la fortune. » Ceux qui s’inquiètent de savoir si Francis Cabrel s’ennuie entre deux sorties d’album trouveront la réponse dans « les Bougies fondues », une rêverie longue de 5 minutes et demie. Sa plus riche chanson d’« A l’aube revenant », son quatorzièm­e album. Le troubadour d’Astaffort y cherche, dans la cire refroidie, « la poésie où y’en a jamais eu ». Ni dans les villes bétonnées, ni dans les visages voilés des petites filles, mais à coup sûr dans la soie d’un érotisme fugace qui accompagne les silhouette­s féminines traversant le disque ici et là, dans « Les beaux moments sont trop courts », « Peuple des fontaines » ou encore l’« Ode à l’amour courtois ». C’est presque nouveau chez lui. Depuis « Petite Marie », à ses débuts en 1977, Cabrel a souvent chanté le sentiment amoureux, mais rarement le plaisir : « J’ai été qualifié de chanteur sensuel il y a seulement douze ans, avec “la Robe et l’échelle”. Longtemps je n’ai pas osé aborder la sensualité, désormais je sais à peu près avec quelles images la formuler sans être déplacé. L’élégance, le charme sont des sources d’évasion. »

Sur le grand canapé, d’autres pensées moins frémissant­es qu’une bretelle glissant sur une épaule fine lui sont venues. Les visages obstinémen­t penchés sur l’écran d’un smartphone (« Parlons-nous ») ; les fermetures massives des librairies de centre-ville qu’il déplore au son d’un guitare/voix ironique (« Difficile à croire »). Et il met la même distance pour déplorer, ahuri et impuissant, le dérèglemen­t climatique : « Ces quelques mots pour dire pardonnez-moi de vous laisser la Terre dans cet état, dans ce fracas de glaciers qui dégringole­nt. » Cabrel a toujours eu un humour British, la vanne qui fuse dans un murmure et la bouche qui dessine un discret sourire au passage. Il n’a pas le cynisme de Jacques Dutronc, mais on pense souvent à lui quand défilent les premières chansons. Et voilà que surgit un boogie qu’il présente comme « bien gras », genre boeuf de fin de soirée arrosée. Un clin d’oeil à Dutronc père, justement, qu’il interpelle comme pour débusquer la vieille canaille planquée dans la maison de Françoise Hardy en Corse. Les deux chanteurs ne se connaissen­t pas, mais l’admiration et l’affection du cadet pour l’aîné sont palpables dans les paroles et la chute assassine de cette « Chanson pour Jacques », « celui qui se la coule, dans son jardin de Corse, écrite à sa manière, sans me faire une ampoule, sans me faire une entorse ». Jouissif.

Francis Cabrel, 66 ans, a si souvent été qualifié de « troubadour du Lot-et-Garonne » qu’il a fini par aller voir de plus près ce que signifiait ce mot. Son ami Claude Sicre, du collectif toulousain les Fabulous Trobadors, l’a mis sur la voie des « Rock stars du Moyen Age » qui chantaient en occitan, comme Cabrel dans l’un de ses refrains. Leur histoire l’a passionné : « Ils scandaient leurs textes avec une grande exigence et, métriqueme­nt, leurs chansons étaient aussi modernes que variées, avec des contrainte­s d’écriture spectacula­ires. Le mouvement s’est éteint au xiiie siècle, mais le mot ‘‘troubadour’’ continue de voyager dans le monde entier, sur la devanture d’un restaurant de Los Angeles comme sur la pochette d’un album de J. J. Cale. »

« A l’aube revenant » est un très bel album, d’accord, d’accord. Du grand Cabrel, encore et encore. A un détail près : la trompette qui escorte sa voix tout au long de « Te ressembler » et gâche un peu l’hommage à son père. Car, pour la première fois, le chanteur l’évoque, ce paysan devenu ouvrier, contraint de travailler dès l’âge de 12 ans pour que sa mère, veuve, ait une bouche de moins à nourrir. Il oppose la dureté de la vie de cet homme tôt disparu à son parcours rêvé de musicien. Sa leçon : « J’en ai gardé une prudence vis-à-vis de l’argent : bien payer mes impôts, ne pas faire de folies. Il ne me viendrait pas à l’idée de me trimbaler dans mon village à bord d’une voiture de luxe, notamment parce que c’est écrasant, humiliant pour les autres. » ■

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France