L'Obs

Don Winslow : « Si Trump est réélu, je sauterai d’un pont ! »

L’auteur de ROMANS NOIRS le plus célébré aux Etats-Unis publie des nouvelles sur l’Amérique actuelle et se déchaîne sur Twitter contre DONALD TRUMP. Entretien

- Propos recueillis par DIDIER JACOB

LE PRIX DE LA VENGEANCE, PAR DON WINSLOW, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Maillet, HarperColl­ins, 540 p., 22,90 euros.

Rien ne destinait Don Winslow à devenir l’un des écrivains américains les plus connus au monde. Né à New York, il a grandi dans une bourgade côtière du Rhode Island, puis il a fait ses études dans le Nebraska, section études africaines. Il organisera d’ailleurs des safaris dans sa jeunesse, et des voyages en Chine. Mais c’est en menant des filatures privées que Winslow, marié et père de famille, va découvrir ce monde du crime dont il s’est fait le Saint-Simon. Dans son nouveau livre, un trafiquant de drogue massacre un policier dont le frère, flic lui aussi, va faire subir le même sort à son bourreau. Un gentleman-cambrioleu­r, façon Steve McQueen, réalise, le long de l’autoroute qui longe la côte Pacifique en Californie, des braquages parfaits. Un shérif des frontières risque sa vie pour ramener à sa mère, au Mexique, une petite fille séparée de ses parents par la politique inhumaine d’immigratio­n que mène Trump aux Etats-Unis. On le voit, l’auteur de « Cartel » est plus en forme que jamais. Titre anglais de ce nouvel opus : « Broken ». « En mille morceaux », comme l’Amérique d’aujourd’hui. Alors qu’il tire à boulets rouges sur Trump, Don Winslow s’explique.

Votre livre se compose de courtes fictions. Vous a-t-il été difficile de vous adapter à ce format ?

Non. J’ai conçu ces histoires comme des romans. Le défi n’était pas leur longueur, mais le rythme de l’écriture et les changement­s rapides. J’avais l’habitude de me lever tous les matins pour raconter la même intrigue, pendant parfois des années. Cette fois, il me suffisait de quelques jours, ou de quelques semaines, pour terminer une histoire. J’avais constammen­t à réinventer des personnage­s, des intrigues et des décors. C’est un peu la même différence qu’entre se marier et sortir avec des filles – pour autant que je m’en souvienne, je suis marié depuis trente-six ans. Dans mes romans, je disposais de nombreux chapitres pour approfondi­r mes personnage­s. Dans « le Prix de la vengeance », je devais le faire en une page ou deux. C’était juste différent.

Vous y évoquez l’acteur Steve McQueen. Etes-vous nostalgiqu­e des années 1960 ?

Je ne dirais pas nostalgiqu­e, mais McQueen était l’incarnatio­n du « cool » californie­n. Il y a eu un âge d’or pour la Californie au début et au milieu des années 1960. J’avais envie de lui rendre hommage. Mais je me méfie de la représenta­tion de la violence dans les films de cette époque. La criminalit­é était comme un jeu de société sans conséquenc­es. Quand quelqu’un se faisait tirer dessus, il tombait à terre, apparemmen­t sans souffrir, et aussitôt il était mort. Ça ne marche pas comme ça. Je préfère montrer les conséquenc­es réelles de la violence, tant physiques que psychologi­ques.

Vous avez été détective privé à vos débuts. Vous souvenez-vous de certaines affaires ?

Bien, trop bien même. J’ai travaillé sur des affaires de meurtre, tant à l’accusation qu’à la défense, et des affaires d’abus sexuels sur des enfants. Je les évoque rarement dans mon travail car elles étaient confidenti­elles.

Qu’est-ce qui vous a décidé à abandonner ce travail et à devenir écrivain ?

J’ai toujours voulu être écrivain. L’usure psychologi­que commençait à m’atteindre. J’ai su qu’il fallait que je quitte ce job

quand je regardais des photos d’autopsie et que je ne ressentais rien. Ceci dit, j’ai publié six romans avant de pouvoir me le permettre et, plusieurs années, j’ai mené une double vie.

Comment faites-vous pour connaître les dernières drogues à la mode et les pratiques des dealers ? Des amis dans la police vous en parlent ?

Eh bien, oui, la police, mais aussi des gens dans le monde de la drogue. J’ai passé un tiers de ma vie à me renseigner là-dessus, donc en deux décennies j’ai appris à connaître beaucoup de gens. Ils me parlent encore. Le commerce de la drogue est un cafard, il peut s’adapter à tous les changement­s. Si la police met les dealers en échec, ils iront ailleurs. Dans les années 1980, la route de la cocaïne a arrêté de passer par la Floride pour s’établir au Mexique. Si un produit se vend moins, ils en vendront un autre, de la marijuana à l’héroïne il y a quelque temps, puis de l’héroïne à la méthamphét­amine. Si vous découvrez par quel moyen les trafiquant­s blanchisse­nt l’argent, ils en trouveront un autre : les cartels mexicains ont recommencé à utiliser du cash au lieu des transferts électroniq­ues. C’est un jeu sans fin.

Quelle place a la recherche dans votre travail ?

C’est ce qu’il y a de plus important. Je passe probableme­nt autant de temps à faire des recherches qu’à écrire. Mon travail est de donner une image réaliste de ces mondes, et cela me dérange profondéme­nt quand je commets des erreurs. Le plus agréable est l’écriture elle-même, sans comparaiso­n. J’adore me lever tous les matins et essayer de créer quelque chose. Le moins agréable du métier, c’est la relecture. C’est le moment où j’en ai marre du livre. Je déteste relire mes propres trucs.

Vous êtes connu pour traverser les Etats-Unis de temps à autre…

Oui, deux fois par an. C’est surtout pour m’amuser, même si j’utilise des choses dans mes livres. Je ne prends pas de photos. Avant le Covid, nous nous arrêtions, ma femme et moi, pour explorer de petites villes et parler avec les gens. Je ne m’en lasse jamais. La dernière fois, à cause de la pandémie, nous avons simplement conduit de motel en motel. Mais la route était encore belle.

Qu’est-ce qui fait un bon roman policier ?

Tout d’abord, de grands personnage­s. Si le lecteur ne s’intéresse pas à eux, il ne s’intéresser­a pas à ce qu’ils font. Deuxièmeme­nt, ils doivent vouloir quelque chose. Cela peut être aussi simple qu’élucider le crime, mais il vaut mieux que le personnage essaie aussi de résoudre un conflit intérieur. Troisièmem­ent, le lieu. En tant que lecteur, je veux avoir un vrai sens du lieu. Etre à Los Angeles avec Marlowe, à Boston avec Spenser, en Louisiane avec Robicheaux. Emmenez-moi là où les flics et les criminels vivent, travaillen­t, mangent et boivent.

Lorsqu’un de vos livres est adapté au cinéma, vous êtes heureux ?

Tout dépend de l’adaptation. C’est incroyable­ment douloureux d’en voir une mauvaise. Et inversemen­t très amusant d’en regarder une bonne. C’est un vrai plaisir de voir un acteur rendre vos mots meilleurs qu’ils ne l’étaient. Mais le plus grand plaisir est de songer au nombre de personnes qui ont travaillé sur un de vos livres. Un matin, vous avez cette petite idée de bouquin et, quelques années plus tard, des centaines de gens paient leurs factures, leur hypothèque, les frais de scolarité de leurs enfants, grâce à cette idée. C’est génial.

Votre livre, en anglais, s’appelle « Broken ». Trump a-t-il brisé l’Amérique, ou a-t-il été élu parce que l’Amérique était déjà divisée ?

Les deux, sans doute. Trump a puisé dans un courant de mécontente­ment et en a profité. Les divisions ont toujours été là, sinon il n’aurait pas été élu, mais il les a tellement aggravées, en jouant sur la peur et l’anxiété des Blancs, en encouragea­nt le racisme et la discrimina­tion sous ses formes les plus basiques. Il est sans vergogne.

Pensez-vous que Trump devrait être poursuivi en justice pour sa gestion de la crise sanitaire ?

Cela me semble être une bonne idée.

Les Etats-Unis sont-ils, selon vous, au bord de la guerre civile ?

C’est vrai, nous n’avons jamais été aussi divisés depuis la guerre de Sécession. Et il y a eu des violences de la part de ces dingues d’extrémiste­s, issus davantage de la droite que de la gauche. C’est effrayant. Mais, au bout du compte, une majorité d’Américains pense que nous avons plus en commun que le contraire.

Que ferez-vous si Trump est réélu ?

Je sauterai d’un pont, si j’y arrive. Mais j’avoue que j’étais sur internet l’autre jour pour regarder les propriétés à louer en France…

Comment la Californie, où vous habitez, peut-elle faire face à tous ces incendies dévastateu­rs ?

Je ne sais pas. C’est une question vitale pour moi, car j’en ai vécu une douzaine, j’ai été évacué quatre fois et j’ai dirigé un centre de secours après l’un des pires incendies. Il fait de plus en plus chaud et sec, les feux ne cessent d’empirer. Alors, oui, je m’inquiète pour l’avenir de ma Californie bien-aimée face au changement climatique.

Pouvez-vous décrire l’endroit où vous écrivez ?

Nous vivons à la campagne et, ma femme et moi, nous louons une station-service réhabilité­e au bord d’une route à deux voies goudronnée. De l’autre côté, il y a un champ. J’ai un bureau que je peux régler pour être assis ou debout, et un fauteuil à roulettes en métal. Autour de moi, il y a une planche de surf, un sac d’entraîneme­nt de boxe pour frapper, un haut-parleur pour la musique et une télévision pour les matchs de baseball. Un panneau à la fenêtre indique : « Aucun être humain n’est illégal ». Les murs sont décorés de couverture­s de livres, de photos de surf et de vieilles affiches de jazz. Au fond, il y a surtout des étagères qui se remplissen­t, c’est un problème, et un lit de camp. Voilà pour la Californie. Quand nous sommes sur la côte Est, une partie de l’année, je travaille sous un vieux porche, sur un bureau que ma femme (alias « l’ingénieur suédois ») m’a construit. J’ai commencé à travailler dehors parce que je suis à mon bureau très tôt le matin et ne voulais pas réveiller les gens à l’intérieur. Il y a le chauffage maintenant mais, à l’époque, je travaillai­s souvent avec des gants et une écharpe. ■

“LE COMMERCE DE LA DROGUE EST UN CAFARD”

“JE M’INQUIÈTE POUR LA CALIFORNIE”

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