BIDEN ne pourra pas dire “on efface tout”...
Malgré ses bonnes intentions, le candidat démocrate, s’il est élu, aura du mal à effacer le bilan diplomatique désastreux de Trump. Explications de François Heisbourg*, spécialiste des relations internationales
Le bilan de Donald Trump en politique étrangère est-il aussi désastreux qu’on le dit ?
Oui. Il est désastreux pour le système international, pour les relations transatlantiques comme pour la plupart des dossiers que Trump a voulu traiter. Les alliés ? Prenez l’Allemagne, le grand partenaire traditionnel des Etats-Unis sur le continent. Berlin et Washington se trouvent désormais dans une quasi-impossibilité de se parler ! Avec la France, malgré les tentatives de Macron, le bilan est nul. Et même la Grande-Bretagne du Brexit et de Boris Johnson ne suscite plus rien à la Maison-Blanche. C’est la même chose en Asie, avec le Japon et la Corée du Sud.
Les dossiers stratégiques ? Une calamité. Dans le cas de la Corée du Nord, on a navigué entre le risque d’une guerre nucléaire et une espèce de romance improbable entre Trump et Kim Jong-un. Le président américain a même dit que les deux leaders s’écrivaient des « lettres d’amour » ! Ce ballet surréaliste se solde par un échec total : la persistance du programme nucléaire militaire et balistique de Pyongyang. Trump le « deal maker » s’est fait rouler comme un bleu par un gamin !
L’Iran ? A cause du retrait unilatéral américain de l’accord des grandes puissances avec Téhéran, la République islamique est désormais libre de reprendre, si elle le souhaite, son programme nucléaire. Et que dire des multiples retraits des Etats-Unis : de l’accord de Paris sur le réchau ement climatique, de l’OMS, du traité sur les armes nucléaires à portée intermédiaire… Il n’y a que sur Israël que Trump a été cohérent. A cause du lobby des évangéliques, il a soutenu mordicus la politique de Netanyahou, en allant jusqu’à déménager l’ambassade américaine à Jérusalem et convaincre des émirats de reconnaître Israël.
Sur la Chine aussi il a montré une certaine cohérence, non ?
Pas toujours, mais globalement il est vrai qu’il a fait monter régulièrement la température de plusieurs degrés entre les deux rives du Pacifique. Et cette stratégie de tension avec Pékin est sans doute le seul point de consensus en politique étrangère entre Biden et lui – un point très important.
Biden peut-il réparer ce bilan globalement catastrophique ?
En tout cas, il le souhaite, à l’évidence. Il parle souvent de son désir d’un « retour à la normalité », de « reconstruire des ponts ». Même à propos de la Chine, sujet sur lequel, je l’ai dit, le Tout-Washington est désormais d’accord, son ton sera, du moins au début, di érent. A propos des Chinois, il parle de « compétiteurs » et
non pas d’« adversaires ». En fait, par sa façon d’être, son histoire des dernières décennies, Biden représente une forme de civilité de ton dans les relations internationales, et il incarne aussi la relation transatlantique. En cela, il s’inscrit dans la tradition de la plupart des hommes d’Etat américains, républicains comme démocrates, depuis les années 1940. D’ailleurs, je ne serais pas étonné que son premier geste de président, s’il est élu, soit d’aller à Munich, à la conférence annuelle pour la sécurité, et, de là, d’Europe, faire savoir au monde qu’il entend faire revenir son pays dans l’univers multilatéral.
Il connaît bien les dossiers internationaux.
Oui, intimement. En tant que viceprésident de Barack Obama et, auparavant, comme président de la très puissante commission des Affaires étrangères du Sénat, il a énormément voyagé, mouillé sa chemise sur des dossiers très complexes. Un exemple : en plein milieu de la guerre russo-géorgienne, en août 2008, il s’est rendu à Tbilissi. Et, en 2009, c’est lui qui tente de relancer les relations avec Moscou – le fameux « reset ». Mais tout cela – son expérience, ses déclarations d’apaisement – ne veut pas dire qu’il peut réparer le bilan de Trump. Pourquoi ?
Dans certains domaines, ce sera simple. Il peut, du jour au lendemain, revenir dans l’OMS dont Trump a claqué la porte en pleine crise sanitaire. Il peut également montrer beaucoup d’attention à l’ONU. Il peut aussi prolonger l’accord nucléaire stratégique avec la Russie qui vient à échéance très bientôt (à moins que, d’ici à l’élection du 3 novembre, Trump ne décide de le faire afin de rehausser sa stature internationale). Biden saura aussi rebâtir des liens personnels de confiance avec les alliés traditionnels de l’Amérique. On se souvient que, lors de sa visite d’Etat à Washington, Emmanuel Macron a eu le sentiment que tout ce qu’il proposait, sur l’Iran ou sur les relations commerciales avec la Chine, n’intéressait en rien Donald Trump. Le chef de l’Etat français est rentré bredouille et furieux. Un président Biden ne commettrait pas ce genre de faute diplomatique.
Mais, pour le reste, rien n’est écrit. D’autant que quatre ans sont passés. Prenez le climat. A priori il semble facile à Biden de revenir dans l’accord de Paris puisque le retrait américain ne prend effet que début 2021. Mais, quand on regarde son programme écologique, on se dit qu’il ne sera pas évident du tout que les Etats-Unis puissent réellement respecter les obligations décrites dans le texte de 2016. Sur l’Iran surtout, il y a une difficulté, Biden ne pourra pas dire « on efface tout et je reviens dans l’accord nucléaire de 2015 ». Les Iraniens rétorqueront que, pour cela, il faut qu’ils le veuillent aussi. Et poseront probablement des conditions, que Washington rembourse les milliards de dollars que les sanctions imposées par Trump leur ont coûtés… Vous avez une autre inquiétude : Biden est un peu passéiste.
En tout cas, si on lit ses déclarations et que l’on écoute ses conseillers (ils sont des centaines rien que sur la politique étrangère !), on se dit qu’en matière diplomatique Biden et son équipe ont parfois un logiciel un peu daté, qu’ils regardent dans le rétroviseur plus que dans l’avenir. Donc, comme dans les années 1980, 1990 et même 2000, les Européens seront de nouveau des interlocuteurs importants pour la Maison-Blanche ?
Oui, mais attention, le dialogue sera rugueux sur le sujet qui sera au centre des débats transatlantiques : la Chine. Comme sous Trump − souvenez-vous de la pression, d’ailleurs justifiée, de Washington sur le dossier de la 5G et de Huawei − l’administration américaine exigera que Paris, Londres ou Berlin coordonnent leur politique chinoise avec celle de Washington. Or nous n’aurons pas toujours les mêmes intérêts, notamment économiques. Donc, même si le ton sera beaucoup plus constructif, il faut s’attendre, si Joe Biden est élu, à des bras de fer durs entre l’Amérique et l’Europe sur ce sujet.
(*) Auteur du « Temps des prédateurs : la Chine, les Etats-Unis, la Russie et nous », Odile Jacob, 2020.